Numéro de danse de Fred Astaire sur la chanson «Puttin’ on the Ritz» en 1946. vimeo.com

Les racines suisses d’un tube planétaire

Pionnier de l’hôtellerie suisse, César Ritz a aussi été l’initiateur d’un mode de vie luxueux immortalisé dans une chanson. Celle-ci rencontra un succès planétaire, tandis que son homonyme décéda après une très longue dépression. Une bien triste histoire.

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw est docteur en histoire, poète et écrivain. Il publie régulièrement des ouvrages historiques.

Quel est le point commun entre Robbie Williams, Fred Astaire, les Leningrad Cowboys, Ella Fitzgerald et Neil Diamond? Tous ont interprété ou repris le tube planétaire «Puttin’ on the Ritz». En revanche, beaucoup ignorent que le titre de ce standard de jazz a des origines suisses. Signifiant «se mettre sur son trente-et-un», l’expression «Puttin’ on the Ritz» se réfère en effet à la réputation légendaire de la chaîne d’hôtels fondée par le Suisse César Ritz.
César Ritz en 1897: il dirigea simultanément une dizaine d’hôtels jusqu’à s’effondrer, accablé par le surmenage.
César Ritz en 1897: il dirigea simultanément une dizaine d’hôtels jusqu’à s’effondrer, accablé par le surmenage. Wikimedia
Quelques extraits (traduits) de cette chanson à succès: «Avez-vous vu les nantis Se pavaner sur Park Avenue? (...) Si vous avez le cafard et que vous ne savez pas où aller Pourquoi ne pas vous rendre là où règne la mode? Mettez-vous sur votre trente-et-un!» La chanson incite les auditrices et auditeurs tristes à revêtir leurs plus beaux atours et à sortir en ville: «Pantalons rayés, manteaux et redingotes, tout leur va à merveille.» Elle donne aussi du courage: «Vous verrez qu’il est fabuleux de se mêler à eux et de les écouter échanger des anecdotes croustillantes Mettez-vous sur votre trente-et-un!» La chanson fut écrite et composée par le musicien et parolier russo-américain Irving Berlin (1888–1989) en 1927. Publiée deux ans plus tard, elle devint célèbre en 1930 à travers le film éponyme «Puttin’ on the Ritz». Toutefois, les origines de l’expression anglaise commune «on the Ritz» sont plus anciennes et nous mènent en Suisse, plus précisément en Valais.
Extrait du film de 1930. YouTube
En 1850, le petit César Ritz, dernier d’une fratrie de 13 enfants, voit le jour dans le village de Niederwald, dans la vallée de Conches. Renvoyé de l’école pour cause de paresse, César Ritz suit une trajectoire classique: cireur de chaussures à ses débuts, il devient ensuite apprenti serveur, puis serveur. Après avoir gravi les échelons jusqu’à devenir directeur d’hôtel, il prend la tête de plusieurs établissements à Lucerne, Londres, Cannes, Monte-Carlo, Aix-les-Bains, Rome, Biarritz et Francfort. En 1898, il inaugure à Paris le premier grand hôtel qui porte son nom sur la très chic place Vendôme. Le «Ritz» devient synonyme de glamour et d’opulence, ainsi que l’un des hôtels les plus célèbres et les plus prestigieux au monde. Il s’agit alors du premier établissement de tourisme où chaque chambre dispose du chauffage, d’une salle de bains et, dans les salons-fumoirs, d’un téléphone. Les affaires marchent si bien que César Ritz ouvre bientôt, dans une dizaine de métropoles, une chaîne d’hôtels de luxe qui portent tous son nom.
L’hôtel Ritz à Paris, vers 1900.
L’hôtel Ritz à Paris, vers 1900. Wikimedia
Parmi ses habitués figurait le roi Édouard VII d’Angleterre, qui alla jusqu’à qualifier César Ritz de «roi de hôteliers et hôtelier des rois», une formule fréquemment reprise. Plus tard, le «Ritz» accueillit les Rothschild, les Rockefeller, Charlie Chaplin, Marlene Dietrich et Marcel Proust, qui y puisa son inspiration pour ses personnages. Ernest Hemingway fut un client du bar de l’hôtel parisien si fidèle et si porté sur la boisson que celui-ci porte encore son nom aujourd’hui.
Le roi Édouard VII était un admirateur de César Ritz.
Le roi Édouard VII était un admirateur de César Ritz. Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2021
Marlene Dietrich dans une photo des années 1920.
Marlene Dietrich dans une photo des années 1920. Wikimedia
C’est ce glamour que le compositeur Irving Berlin avait à l’esprit en écrivant «Puttin’ on the Ritz». Pourtant, le fondateur de l’établissement n’avait pas le cœur à s’adonner au faste évoqué dans cette chanson. César Ritz eut en effet une fin tragique: se dévouant corps et âme à la gestion de tous ses hôtels, il fut victime en 1903, à l’âge de 53 ans, d’un épuisement physique généralisé qui mit brusquement fin à son ascension. L’hôtelier fit sa dernière apparition publique en 1905, avant de se retirer définitivement dans des cliniques à partir de l’année suivante. De nos jours, on parlerait de burn-out chronique.  
Le russo-américain Irving Berlin, parolier et compositeur du tube planétaire.
Le russo-américain Irving Berlin, parolier et compositeur du tube planétaire. Wikimedia
Il séjourna d’abord dans une clinique psychiatrique à Lausanne avant d’intégrer la petite clinique privée du Dr Gottfried Egli à Küssnacht (SZ). Ritz, hôtelier de la royauté et de la haute société, souffrait d’une profonde dépression dont il ne parvint pas à se défaire jusqu’à sa mort en 1918. Sa tristesse était telle que même l’appel à «Puttin’ on the Ritz» n’aurait pas pu lui remonter le moral. En mettre plein la vue relevait pour lui de l’impossible durant la dernière phase de sa vie. Le fait qu’aujourd’hui encore, l’adjectif anglais «ritzy» renvoie à César Ritz et signifie «noble», «élégant» et «moderne», est une ironie de l’histoire presque cruelle compte tenu de la triste fin du roi de l’hôtellerie.
Le roi de l’hôtellerie passa ses dernières années à la clinique psychiatrique située Grepperstrasse 22 à Küssnacht.
Le roi de l’hôtellerie passa ses dernières années à la clinique psychiatrique située Grepperstrasse 22 à Küssnacht.   Collection Robert Moser/Heimatmuseum Küssnacht

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