Hijab orné d’un motif floral et de strass argentés, 1990–2005.
En tant que signe visible de la religiosité islamique, le foulard des musulmanes devient objet de litige à la fin des années 1990. La pluralité religieuse devient un sujet politique aussi en Suisse. Une xénophobie se forme contre l’immigration religieuse islamique. Hijab orné d’un motif floral et de strass argentés, 1990–2005. Musée national suisse

La liberté de qui?

Le foulard musulman a souvent fait l'objet de vives controverses par le passé. Il permet d'illustrer l'évolution de la conception de la liberté de religion.

Jacqueline Grigo

Jacqueline Grigo

Dr. phil. Jacqueline Grigo est spécialiste des religions, anthropologue sociale et culturelle et chercheuse associée à l’Université de Zurich.

La Suisse se considère comme un État laïque qui garantit la liberté de religion au niveau constitutionnel. La liberté de religion repose sur la neutralité de l’État. Aussi, la séparation des sphères privée et publique constitue la base sociétale des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Comme Mader et Schinzel l’écrivent, les droits fondamentaux engagent à leur tour l’État à «ne restreindre les capacités individuelles au libre épanouissement que dans la mesure où cela est opportun, nécessaire et personnellement acceptable dans l’intérêt supérieur de la société, c’est-à-dire dans l’intérêt ‹public›.» En retour, l’État doit veiller à circonscrire les pratiques douteuses discriminatoires ou portant atteinte aux droits d’autrui et exercées sous prétexte de la liberté de religion. D’un point de vue juridique, la religion est « l’expression d’une perception individuelle du divin et du caractère transcendant » et constitue ainsi, en premier lieu, une affaire absolument privée. Comme diverses interactions se tissent entre les sphères privée et publique, il est difficile d’établir une limite claire entre les deux. Si une confession religieuse ou l’appartenance à une communauté religieuse est rendue visible, la religion devient perceptible aux yeux d’autrui et par conséquent une affaire publique. La liberté d’interprétation ainsi constituée s’applique aussi aux contestations juridiques influencées par les développements ou les discours historiques et sociétaux. Depuis les années 1970, la Suisse a évolué d’un pays majoritairement chrétien à un pays marqué par la pluralité religieuse. Tandis que le nombre de fidèles de l’Église nationale baisse, celui des personnes non religieuses, des membres d’Églises libres et des communautés religieuses non chrétiennes augmente constamment. Les communautés musulmanes ont connu la plus forte augmentation, de 0,3% en 1970 à 5,4% en 2020. Après la chute du Mur de Berlin, un nouvel ordre bipolaire mondial s’est peu à peu imposé dans le débat public. Déclarés comme une menace internationale, l’«islamisme» et parfois généralement l’«islam» ont pris la place du «bloc de l’Est communiste». Cette perception s’est intensifiée suite aux attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York.
Évolution du paysage religieux en Suisse de 1970 à 2000.
Jusque dans les années 1970, la population suisse est presque exclusivement catholique ou protestante. Depuis, diverses raisons entraînent les nombreux retraits des Églises chrétiennes. En raison de l’immigration durant la guerre des Balkans, la communauté religieuse musulmane devient jusqu’en 2000 la plus importante minorité religieuse en Suisse. Évolution du paysage religieux en Suisse de 1970 à 2000. Office fédéral de la statistique
Comme illustré par l’exemple suivant, cette évolution a marqué aussi dans certains cas la liberté religieuse individuelle. En 1997, le Tribunal fédéral a interdit à une enseignante musulmane du canton de Genève de porter le voile pendant les cours, considérant que le port du voile influencerait les enfants d’une manière qui serait incompatible avec la neutralité confessionnelle de l’école. L’interdiction serait dirigée «non pas contre les convictions religieuses de la plaignante, mais elle vise la protection des droits et des libertés d’autrui ainsi que de l’ordre public et de la sécurité», comme le précise l’Office fédéral de la justice dans son communiqué de presse du 27 février 2001. Le jugement que le Tribunal a porté comportait des considérations sur l’égalité des droits: «Force est de constater que le port du voile est à peine compatible avec le principe de l’égalité des sexes [. . .]. Il s’agit cependant d’une valeur fondamentale de notre société stipulée dans une disposition de la Constitution [. . .] dont l’école doit tenir compte.» L’enseignante a porté son cas auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme (CrEDH). Celle-ci a toutefois appuyé l’arrêt du Tribunal fédéral. La neutralité confessionnelle de l’école doit être défendue dans tous les cas. L’argumentation sur laquelle reposent les décisions de justice présentées ici renvoie cependant à des suppositions et des conceptions de normes tacites. Les questions suivantes notamment se posent : dans quelle mesure le port d’un voile menace-t-il « les droits et les libertés d’autrui » ainsi que « l’ordre public et la sécurité»? Pourquoi le fait d’interdire le voile plutôt que de le permettre contribue-t-il davantage à l’éducation de la tolérance et au respect mutuel? Et dans quelle mesure peut-on dire de manière générale que le voile est un symbole de soumission de la femme?
Page 9 du Nouvelliste du 20.11.1997. 
L’article réagit à une décision du Tribunal fédéral. Il s’agit de l’interdiction du port du voile à une enseignante de religion musulmane durant les heures de cours à Genève en 1997. Le Tribunal invoque à cet égard l’article constitutionnel sur la neutralité de l’école obligatoire. La plaignante doit en conséquence soit accepter une restriction de sa liberté religieuse soit renoncer à l’exercice de sa profession. e-newspaperarchives.ch
Au cours des dernières décennies, le thème de la religion a pris de plus en plus d’ampleur dans l’espace public politique et médiatique en Suisse et en Europe. Cette couverture médiatique est fortement influencée par des jugements de valeur. Tandis que les représentant-es du christianisme et du judaïsme sont jugé-es de manière parfois négative ou positive, le bouddhisme est considéré généralement comme paisible, non violent, ouvert, tolérant et non dogmatique. Par contre, dans le cas de l’islam, les appréciations sont majoritairement négatives. Il est généralement associé aux conflits, à l’extrémisme, à la violence, à la régression et au terrorisme ou même à la répression des droits des femmes. Ce «combat des cultures» médiatique aime réduire le voile à un symbole de valeurs incompatibles. La pratique vestimentaire de l’islam est souvent considérée comme le contraire de ce que souhaite devenir notre société, c’est-à-dire libre, égalitaire, sûre et juste.
Port du voile à l'école: la question de la liberté religieuse se pose dans différents cantons suisses. 19h30 du 11.7.2013. RTS
Depuis le début du XXIe siècle, dans toute l’Europe, la portée sociale de la religion est reconsidérée par le biais de «controverses sur le port du voile». Or, il s’agit toujours aussi des conditions de cohabitation dans les sociétés pluralistes. En quête d’identité, ce sont justement les jeunes musulmanes de la deuxième et de la troisième génération d’immigré-es qui portent le voile avec une nouvelle perception d’elles-mêmes. Elles se considèrent comme étant religieuses, éclairées et modernes en même temps. Elles aspirent à l’autonomie et à la réussite professionnelle et se démarquent autant des attentes et des valeurs perçues comme conservatrices et restrictives de la génération de leurs parents que des attributions marginalisantes de la société d’accueil. Elles portent le voile avec assurance, non seulement comme expression de leur relation à Dieu, mais aussi de leur droit à la participation sociale et aux décisions.
Affiche touristique pour Arosa, 1957.
En Suisse, le foulard a longtemps été un accessoire de l’habit traditionnel. À la campagne, les femmes le portaient en travaillant pour protéger leur coiffure de la poussière et de la saleté. Dans les années 1950, le foulard devient un accessoire de mode. Les stars comme Grace Kelly, qui le mettent en scène dans leur cabriolet ouvert, en font un accessoire glamour. Affiche touristique pour Arosa, 1957. Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, ZHdK © Roland Kupper

Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convic­tions philoso­phiques et de les professer indivi­duel­le­ment ou en communauté.

Cst. 1999, art. 15, al. 2

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