Arbre généalogique de la Suisse.
Arbre généalogique de la Suisse. Stammbaum der Schweiz. Albero genealogico della Svizzera. Lithographie, vers 1909 (détail). Pendant des siècles, on prêta serment dans l’ancienne Confédération, mais ce sont les sujets qui devaient faire acte d’allégeance envers l’autorité, et rarement les révolutionnaires. Bibliothèque nationale suisse

1291: faits authen­tiques, fête mythique

Les États jeunes ont besoin d’histoires anciennes. En 1891, alors que la Suisse avait 43 ans, le Conseil fédéral fixa à main levée une date exacte, c’est-à-dire le 1er août, comme point de départ des 600 ans d’histoire du pays. Examinons de plus près les principaux faits dans une humeur festive, et sans obstination entêtée.

Kurt Messmer

Kurt Messmer

Kurt Messmer travaille comme historien spécialisé dans l’histoire au sein de l’espace public.

Une fête qui célèbre la création d’un État suppose trois choses: un territoire, un peuple et une constitution. C’est pour cela que l’on célèbre la fondation de la Confédération en 1848, qui pourtant ne concerne pas une bonne moitié de sa population, car il faudra encore compter plus de cent ans avant que celle-ci n’obtienne le droit de participer à la vie politique. Mais 1291, création de la Suisse? Tout a commencé avec une vache. Qui a été tuée. D’où une introduction non pas solennelle, mais prosaïque: le quotidien dans l’espace préalpin, la Suisse centrale d’aujourd’hui, dans une période de bouleversement.

Qu’est-ce qu’une vache a à voir avec les débuts de la Confédé­ra­tion? Presque tout.

Je reconnais la brune Lisette à sa clochette, voici ce qu’on peut lire dans le Guillaume Tell de Schiller. Mais la Lisette est morte et gît depuis des années sur le sol du Forum de l’histoire suisse Schwytz. Et même pour la Fête nationale, la pauvre bête reste étendue là. Seule la flaque de sang étalée sur le sol a été retirée après que des visiteurs choqués ont exprimé leur mécontentement. Depuis, le sang n’est plus visible que sur le cou de la Lisette, en dessous de la plaie.
Exposition Les origines de la Suisse au Forum de l’histoire suisse Schwytz, cliché de 2017.
Reproduction d’une vache morte: exemple concret des règlements de compte qui pesaient sur le quotidien des gens jusqu’au XIVe siècle. Exposition Les origines de la Suisse au Forum de l’histoire suisse Schwytz, cliché de 2017. Musée national suisse
En 1257, une querelle opposait deux clans uranais, les Izzeli et les Gruoba. Qui avait commencé et pourquoi? Un Izzeli avait peut-être saigné la vache d’un Gruoba. Ou l’inverse. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire n’en resta pas à cette seule vache. Lors de ces querelles, des troupeaux entiers pouvaient être dérobés, des récoltes détruites, des maisons et des étables incendiées et des gens massacrés dans les deux clans. La vengeance était sanglante. On faisait justice soi-même et les conséquences étaient imprévisibles. Au XIVe siècle, des centaines de personnes étaient encore empêtrées dans ces rivalités. Des centaines. Dans des vallées faiblement peuplées comme dans les Préalpes du Nord. La situation paraissait sans issue. Il fallait qu’une autorité extérieure intervienne, une autorité reconnue par les deux parties. C’est le comte Rodolphe de Habsbourg qui fut appelé. Des siècles plus tard, beaucoup virent en lui l’alter ego du cynique tyran Hermann Gessler. Le 23 décembre 1257, le comte instaura la paix à Altdorf tandis que quatre Uranais furent chargés de veiller au maintien du traité. Mais les Izzeli ne respectèrent pas le pacte. Le 20 mai 1258, Rodolphe de Habsbourg fut rappelé et cette fois-ci, il employa la manière forte: les Izzeli furent condamnés à payer un lourd tribut, les chefs de guerre expropriés et privés de leurs droits. Peu à peu se répandit l’idée que le pays devait en finir avec ce fléau. Ce qui est permis ou non ne pouvait continuer à être considéré comme une affaire privée, mais devait être communalisé et inscrit dans un texte officiel.

Le Pacte fédéral de 1291: ce qu’il contient vraiment

Rien de tel que la version originale pour clarifier les choses, comme le montre cet extrait du célèbre document au contenu très méconnu: Si d’autre part un conflit surgit entre quelques-uns, les plus sages des confédérés doivent intervenir en médiateurs pour apaiser le différend. / Celui qui, criminellement et sans provocation, commettra un meurtre sera puni de mort. S’il réussit à s’échapper, il lui est à jamais interdit de revenir au pays. / Si quelqu’un, de jour ou dans le silence de la nuit, met criminellement le feu aux biens d’un confédéré, on ne doit plus jamais le considérer comme membre d’une de nos communautés. / Si l’un des confédérés en dépouille un autre de ses biens ou lui cause n’importe quel autre dommage, les biens du coupable que l’on pourra saisir dans les vallées doivent être mis sous séquestre pour dédommager la victime conformément au droit.
Traité d’alliance établi entre les vallées d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald, connu sous le nom de Pacte de 1291 ou Pacte fédéral.
Unir ses forces pour garantir justice et sécurité: un progrès social majeur. Le droit communal vient remplacer les règlements de compte, les vengeances et les guerres privées. Traité d’alliance établi entre les vallées d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald, connu sous le nom de Pacte de 1291 ou Pacte fédéral. Il manque les armoiries de Schwytz. Musée des chartes fédérales de Schwytz
À la fin de Guillaume Tell, pièce de théâtre dramatique sur la liberté écrite en 1804, Friedrich Schiller fait entonner au couple d’amoureux un hymne à la liberté. Berthe: Eh bien! Je donne ma main à ce jeune homme. La libre citoyenne suisse devient l’épouse de l’homme libre! Rudenz: Et moi, je déclare libres tous mes serfs. La prise de position véhémente de Schiller sur la liberté et le droit à la résistance est une référence mondiale et un point d’ancrage aux niveaux philosophique et littéraire, mais historiquement parlant, soyons honnêtes, n’est que pure fantaisie.

Sous réserve que chacun, selon sa condition person­nelle, reste soumis, comme il convient, à son seigneur et lui rende les presta­tions auxquelles il est tenu.

Pacte fédéral de 1291, article 3
1291 n’a rien à voir avec la liberté et l’indépendance. Bien au contraire: il s’agit de consolider les conditions sociales existantes dans une période d’insécurité. L’objectif n’est pas la révolution, mais la restauration. La hiérarchie sociale est maintenue: les sujets restent des sujets, quiconque est au service d’un seigneur doit continuer à le servir. Et cela va durer encore des siècles. Jusqu’à la création de la République helvétique en 1798, et donc jusqu’à ce que les Français envahissent la Suisse, la plupart des citoyennes et citoyens de notre pays sont des sujets.

1291 ou 1309? Une date fixe surestimée

Quand on parle d’un événement historique, il est capital de pouvoir le situer dans le temps et de pouvoir apporter la preuve de sa date. En revanche, la précision disparaît quand on parle d’une évolution historique. Exemple: au cours des XIIe et XIIIe siècles, on assiste à un essor des villes et du commerce. Mais il est impossible de fixer une date de départ et de fin de cette évolution. Il en va de même des débuts de la Confédération. En 1895, à Altdorf, le monument de Guillaume Tell est inauguré en présence de l’ensemble du Conseil fédéral. Tonnerre d’applaudissements lorsque la statue colossale est dévoilée. Et sur le socle du monument, gravée dans la pierre, encore aujourd’hui, la date de création de la Confédération: 1307.
Monument de Guillaume Tell à Altdorf de Richard Kissling (1848-1919).
En 1895, quatre ans après que le gouvernement fédéral a proclamé que le 1er août serait la date officielle de la Fête nationale, le canton d’Uri fait graver 1307 comme année de création et choisira le 8 novembre comme date de célébration. Uri s’appuie sur les chroniques suisses d’Aegidius Tschudi au milieu du XVIe siècle, les mêmes chroniques qui ont inspiré Friedrich Schiller en 1804 pour son Guillaume Tell. Monument de Guillaume Tell à Altdorf de Richard Kissling (1848–1919). Wikimedia
1307 peut surprendre comme date de création de la Confédération. Cependant, l’historien Aegidius Tschudi (1505– 1572) et le gouvernement uranais sont plus proches de la réalité avec l’année 1307 que le Conseil fédéral d’alors avec 1291. Grâce aux travaux de Roger Sablonier, la communauté des historiennes et historiens admet aujourd’hui que le Pacte fédéral a peu de chance d’avoir été rédigé en 1291, mais plutôt en 1309 puis antidaté. S’agit-il d’un faux? Selon le point de vue de l’époque, il s’agirait plutôt d’un ajustement par rapport à une situation qui avait changé. L’antidate a sûrement permis de poser des exigences durant la période qui a suivi la mort du roi Rodolphe de Habsbourg en juillet 1291. Au XVe siècle également, certaines chartes fédérales ont été modifiées lorsqu’elles ne correspondaient plus aux positions politiques du moment. La Pacte fédéral, composé d’au moins deux parties, ne s’inscrit pas dans la configuration historique de 1291. Le contexte de 1309 explique bien mieux cette alliance de paix.
Les bouleversements politiques, économiques et sociaux en Suisse centrale vers 1309.
Les bouleversements politiques, économiques et sociaux en Suisse centrale vers 1309. Sur la base de ces changements importants et de l’insécurité qui en découle, Roger Sablonier parvient, dans un ouvrage historique révolutionnaire publié en 2008, à la conclusion que le célèbre document daté de début août 1291 a dû être rédigé en 1309. Carte: Kurt Messmer
Les fêtes ont besoin d’une date fixe. Ce qui est déterminant, c’est le contenu factuel et, donc, la période concernée. Qu’on les situe en 1291 ou 1309, les débuts de la Confédération remontent à une période située vers l’an 1300.
Les confédérations paysannes du XIIIe au XVe siècle sont concentrées dans l’espace alpin et les régions périphériques d’Europe de l’Ouest.
Les confédérations paysannes du XIIIe au XVe siècle sont concentrées dans l’espace alpin et les régions périphériques d’Europe de l’Ouest. Histoire de la Suisse et des Suisses, 1982, I 159 / Thomas Küng, graphique

Un cas isolé? Non.

Dans la recherche historique, deux axes sont importants: a) creuser le plus profondément possible ou b) avoir une vision d’ensemble. Si on choisit cette vision d’ensemble, une question se pose: le Pacte fédéral, ou encore mieux l’alliance de paix, de 1291/1309 était-il un acte isolé?
Alliances entre villes et chartes fédérales depuis le XIIIe siècle jusqu’en 1353.
Alliances entre villes et chartes fédérales depuis le XIIIe siècle jusqu’en 1353. Un maillage serré s’étend de la Savoie jusqu’en Autriche en passant par les Alpes et la Rhénanie. Les alliances garantissant assistance mutuelle et maintien de la paix étaient la règle, et non l’exception. L’alliance conclue entre Berne, Fribourg et Morat en 1218 et celle conclue entre Zurich, Constance, Cologne, Mayence et Worms de 1254 à 1257 illustrent parfaitement l’existence de ce type de pactes plusieurs décennies avant 1291. Histoire de la Suisse et des Suisses, 1982, I 182 et s. (mises en relief de Kurt Messmer)
Avant que les trois cantons d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald ne s’allient à d’autres communes, ils se joignirent volontairement en 1327 à une alliance de grande ampleur qui réunissait des partenaires aussi renommés que différents (Zurich, Berne, Mayence, Worms, Speyer, Strasbourg, Bâle, Fribourg, Constance, Lindau, Überlingen et le comte Eberard de Kybourg) pour une durée limitée à deux ans. Si cette limitation dans le temps était monnaie courante dans ces traités de paix territoriale, le Pacte de 1291, quant à lui, était perpétuel, c’est-à-dire sans limitation de durée. Dans l’Ancienne Confédération, tous n’étaient pas impliqués dans une seule et même alliance. Au début, Lucerne et Zurich n’étaient pas directement alliés à Berne, mais uniquement par l’intermédiaire de leurs partenaires communs en Suisse centrale. S’imaginer qu’il existerait un arbre généalogique suisse qui se serait formé de manière organique serait une erreur.

La destruc­tion des châteaux. Opercule de crème à café versus sciences

Schiller for ever. Il faut lutter pour la liberté et combattre les baillis tyranniques. Leurs châteaux en flammes incarnent les autels flamboyants d’une lutte triomphante pour la liberté des honnêtes paysans des rives du lac des Quatre-Cantons. C’est cohérent d’un point de vue dramaturgique, encore plus d’un point de vue idéologique, mais historiquement parlant, pas du tout.
La destruction des châteaux de 1291, version opercule de crème à café en 1991.
La destruction des châteaux de 1291, version opercule de crème à café en 1991. Les barres noires montrent l’occupation des châteaux, les blanches les précurseurs de cette colonisation: une fin abrupte pour les châteaux sur toute la ligne. Werner Meyer: 1291, 166 / Kurt Messmer
La destruction des châteaux de 1291, version scientifique en 1991. Les résultats des archéologues sont sans appel: occupation ininterrompue des châteaux, pour certains jusqu’au XVIIe siècle.
La destruction des châteaux de 1291, version scientifique en 1991. Les résultats des archéologues sont sans appel: occupation ininterrompue des châteaux, pour certains jusqu’au XVIIe siècle. Werner Meyer: 1291, 166 / Kurt Messmer

Importance historique limitée, mais impact communau­taire considérable

Le Pacte fédéral de 1291/1309 est un paradoxe. Il présente deux aspects qui ne pourraient pas être plus contradictoires. À court terme, il occupe une fonction essentielle pour la paix territoriale, mais à long terme, il n’a eu aucun impact sur l’époque qui a suivi. Il n’est plus évoqué dans les documents ultérieurs, y compris dans le Pacte de Brunnen de 1315, pourtant majeur. De plus, le parchemin resta introuvable pendant des siècles. Un document dont personne ne sait rien et qui n’est pas consultable ne peut pas jouer un rôle majeur. Ce n’est qu’en 1760 que le document fut redécouvert à Schwytz et publié dans sa version originale latine et dans sa traduction allemande. La faible importance historique de ce pacte entre en opposition totale avec sa puissance sur l’imaginaire collectif. En 1891, le Conseil fédéral fit de ce document probablement la source la plus célèbre de l’histoire de la Suisse. Et pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce parchemin aux nombreuses questions non élucidées acquit un caractère presque sacré. En 1936, lorsque les Archives des Chartes fédérales, spécialement édifiées pour ce document culte, furent inaugurées à Schwytz, la vitrine renfermant ce Pacte fédéral fut désignée sous le nom d’Autel de la patrie.
Salle principale du Musée des Chartes fédérales, vitrine du Pacte fédéral devant le tableau Le serment du Grütli de Walter Clénin (1897-1980)
Lors des travaux de rénovation des Archives des Chartes fédérales (devenues aujourd’hui le Musée des Chartes fédérales), l’Autel de la patrie a été remplacé en 1980 par une vitrine annulaire. Message véhiculé: le Pacte fédéral est un traité parmi de nombreux autres. Depuis 2014, le document a retrouvé sa place dans son ancien emplacement de l’Autel et est de nouveau mis en avant comme source unique. C’est l’impact de ce document à une époque marquée par un esprit de défense spirituel qui est mis en avant. Salle principale du Musée des Chartes fédérales, vitrine du Pacte fédéral devant le tableau Le serment du Grütli de Walter Clénin (1897–1980) (détail). Musée des Chartes fédérales de Schwytz

Des alterna­tives à 1291?

Prenons trois concurrents à la Fête nationale actuelle. Il importe de faire une distinction conceptuelle entre les débuts de la Confédération vers 1300 et sa émergence dans la deuxième moitié du XVe siècle. Voici les trois options possibles:

22 décembre 1481: émergence de la Confédération

Après la conquête de l’Argovie en 1415, les huit cantons de la Confédération se fixèrent pour la première fois une mission administrative commune. Cela crée du lien. Mais la guerre de Zurich pesa de 1436 à 1450, et après les guerres de Bourgogne en 1476/1477, la querelle sur la combourgeoisie, un conflit entre villes et communes rurales qui dura quatre ans, précipita la Confédération dans l’abîme. Le convenant de Stans échoua à cinq reprises avant qu’un compromis ne soit enfin trouvé le 22 décembre 1481. La sixième tentative fut la bonne. L’art du possible. Ensuite, la Réforme divisa les cantons selon leur adhésion aux anciennes ou aux nouvelles croyances. Mais la Confédération, ce tissu d’alliances de partenaires et d’intérêts différents, demeura une entité poursuivant un objectif commun avec plus d’avantages que d’inconvénients. Conclusion: cette façon typiquement helvétique de surmonter les conflits par une forme de marchandage entre ville et campagne est très significative d’un point de vue factuel, mais inappropriée pour fixer la date de la Fête nationale. La situation politique confuse de cette période est complexe et peu ancrée dans la conscience collective.

12 avril 1798: premier État, première constitution

Les troupes françaises envahirent la Suisse à la suite de la Révolution de 1789 en France. Le 12 avril 1798, la France dicta à notre pays la Constitution de la République helvétique: la première constitution de la Suisse. Pour la première fois depuis des siècles, les hommes n’étaient plus assujettis par leur naissance à un régiment ou à un seigneur, mais naissaient en citoyens libres. L’égalité est certes l’une des grandes conquêtes de l’histoire de l’humanité, mais en 1798, l’égalité et la liberté se répandaient en Suisse par l’usage des armes. Conclusion: une date tout à fait valable pour la Fête nationale suisse, mais il va falloir se lever tôt pour la faire accepter dans le pays.

12 septembre 1848: création de l'État fédéral

Une constitution élaborée en un temps record; deux chambres qui se complètent de façon optimale et représentent au moins la moitié de la population, c’est-à-dire les hommes; ainsi qu’un gouvernement fédéral dont la composition reflète correctement les régions. Fédéralisme et centralisation dans des proportions acceptables, équilibre des intérêts en leitmotiv. Après avoir surmonté la guerre du Sonderbund, la Suisse représente en 1848 une exception démocratique dans une Europe monarchique et princière. Conclusion: le 12 septembre se justifie comme date pour la Fête nationale. Mais cette date est précédée d’un conflit armé qui a laissé de profondes tensions. De plus, il manque à cette fête historique une pincée de liant qu’on appelle un mythe. 1291 vacille, mais ne tombera pas.

Perspec­tives

La question des origines est indissociable de celle de la destination. Regarder en arrière mène à de profondes réflexions. L’artiste Kurt Sigrist (*1943), originaire d’Obwald, fait de l’art, et non des affirmations concrètes au sujet de la Suisse. En baptisant sa maison-charrette inspirante Zeitraum (espace-temps), il allie l'espace et le temps, ces deux composantes essentielles de l’Histoire.
Kurt Sigrist, Zeitraum (Espace-temps), 1980, citation: Une maison-charrette ou une charrette-maison / Maison vagabonde / Telle une rose des vents / Traversante aux quatre points cardinaux / Immobile par deux directions qui se font barrage / Le mouvement dans le silence absolu. Aire de repos du Saint-Gothard près d’Erstfeld, direction nord.
L’espace-temps, symbole de la Suisse? Certains arguments plaident en ce sens. La rose des vents est tout à fait adaptée pour le Saint-Gothard tout proche, et qui pourrait nier que dans notre pays, les blocages ne sont pas rares, mais les grands bonds si? Libre à quiconque le souhaite de voir la Suisse comme un état de fait. Mais la sculpture Zeitraum symbolise l’ouverture, de tous les côtés. Un regard sur la croix blanche dans le rectangle rouge amène à s’interroger sur ce qu’on peut bien voir dans les trois autres directions de la maison-charrette: des glaciers en train de fondre, le drapeau européen, des humains, dans le monde, en quête d’une vie meilleure? Après des questions aussi sérieuses, l'ambiance de fête est-elle perdue? Pas du tout. Les faits sont simples: telle une rose des vents, dans la maison traversante, nous voyons, si nos yeux restent ouverts, en direction des quatre points cardinaux. La Suisse est à la fois opportunité et mission.

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