En 1849, les Suisses et les Hessois ont failli se battre à Büsingen. Caricature de Marco Heer
En 1849, les Suisses et les Hessois ont failli se battre à Büsingen. Caricature de Marco Heer

L’affaire de Büsingen

En juillet 1849, un affrontement a failli éclater à Schaffhouse entre les soldats hessois et les troupes suisses. Il aura fallu beaucoup de sang-froid et de diplomatie pour éviter un conflit sanglant.

Jürg Burlet

Jürg Burlet

Jürg Burlet est historien et spécialiste de l'histoire militaire.

La Révolution badoise est à l’origine d’un conflit militaire dans l’exclave badoise de Büsingen. Le 21 juillet 1849, des troupes hessoises occupèrent cette localité située à l’est de Schaffhouse, sur le Rhin supérieur, conduisant ainsi à la première mobilisation militaire de la jeune Confédération Suisse. En violant la frontière pour occuper ce petit territoire badois, les troupes fédérales allemandes mirent la Suisse, encore toute jeune à l’époque, dans une situation délicate, et engendrèrent un incident qualifié aujourd’hui de conflit de Büsingen ou encore d’affaire de Büsingen. Située sur la rive droite du Rhin et s’étendant sur 7,62 km2, Büsingen faisait partie à l’origine de la principauté électorale de Wurtemberg avant d’être rattachée au grand-duché de Bade en 1810. Côté rive droite du Rhin, la commune est complètement enclavée dans le canton de Schaffhouse sans accès direct au reste du territoire badois, tandis que de l’autre côté, sur la rive gauche, elle est bordée par les cantons de Thurgovie (Diessenhofen) et de Zurich (Feuerthalen).
Carte de l’emplacement géographique de Büsingen.
Carte de l’emplacement géographique de Büsingen. Wikimédia
Mais qu’est-ce qui a bien pu à ce point échauffer les esprits de part et d’autre de la frontière pour en arriver à mobiliser l’Armée suisse, une première depuis l’introduction de la Constitution fédérale de 1848? Le 21 juillet 1849, après la défaite des troupes révolutionnaires badoises contre les troupes fédérales sous commandement prussien, la compagnie hessoise Stockhausen forte de 170 hommes embarqua à Constance sur un bateau à vapeur badois, baptisé fort à-propos Helvetia et qui a navigué sur le lac de Constance de 1832 à 1843. Les soldats devaient mener une expédition punitive à Büsingen, où l’on suspectait des intrigues révolutionnaires. La petite armée descendit le Rhin de bon matin sans avoir ni averti ni demandé l’autorisation des autorités suisses. L’«invasion» ne fut pas remarquée lors de la traversée de Stein am Rhein car l’équipage était caché sous le pont, ce qui fut interprété plus tard comme une ruse. Les soldats abordèrent à 7 heures à Büsingen, s’emparèrent du village, désarmèrent les habitants et arrêtèrent trois hommes: Walter, le caissier communal, von Ow, le médecin, et Güntert, le vétérinaire. Walter et von Ow furent rapidement relâchés car aucune preuve accablante ne put être retenue contre eux. Güntert, en revanche, fut constitué prisonnier et emmené à bord. Le bateau était censé lever l’ancre à 13 heures. Mais il n’en fut rien.
Les soldats hessois naviguèrent jusqu’à Büsingen sur ce bateau à vapeur.
Les soldats hessois naviguèrent jusqu’à Büsingen sur ce bateau à vapeur. Wikimédia
La nouvelle de l’occupation de Büsingen se propagea rapidement même au-delà de la frontière vers Schaffhouse. Peu avant 13 heures, les soldats hessois eurent la désagréable surprise de voir surgir un représentant de la Confédération qui leur demanda de déposer les armes et les informa que la Suisse n’hésiterait pas à avoir recours à la force si nécessaire. Les Hessois, ne semblant pas avoir conscience d’avoir violé le territoire suisse, essuyèrent ensuite une seconde déconvenue, plus cuisante encore que la première. L’enclave se retrouva cernée par un bataillon zurichois dans le courant de l’après-midi, tandis qu’un second bataillon envahit la forêt de Schaaren de l’autre côté du Rhin. Des mesures avaient aussi été mises en place sur les ponts de Diessenhofen et de Stein am Rhein pour bloquer le passage du bateau. Le soir venu, les troupes présentes à Büsingen reçurent l’autorisation de dépêcher deux envoyés à Constance afin de faire un rapport de situation. Il en ressortit que l’expédition entreprise à Büsingen avait été ordonnée par des autorités civiles et que les troupes ignoraient qu’elles franchissaient une frontière. Le lendemain, la Suisse n’accéda pas non plus à la demande de laissez-passer de la compagnie hessoise.
Carabiniers zurichois en opération, aquarelle, 1852.
Carabiniers zurichois en opération, aquarelle, 1852. Bibliothèque Am Guisanplatz
En réaction, le commando de l’armée fédérale allemande renforça les troupes postées autour du canton de Schaffhouse, qui comprenaient désormais plus de 10 000 soldats. Il menaça de libérer les troupes de Büsingen par la force si aucun accord concernant leur retrait n’était conclu avant le 28 juillet.

Toute l’Armée suisse de piquet!

Lorsque l’information circula que 2300 soldats prussiens s’étaient rassemblés aux alentours de Randegg et 5000 à Constance, le Conseil fédéral décida le 24 juillet de mettre l’Armée suisse de piquet (les troupes suisses étaient alors en sous-effectif) et mobilisa trois divisions en renfort, soit 24 000 hommes. Le commandement supérieur fut confié provisoirement au général Dufour, militaire de haut rang très estimé qui s’était illustré pendant la guerre du Sonderbund. Dans un premier temps, les négociations échouèrent. Le colonel Franz Müller, commandant de brigade suisse à Zoug, exigeait en effet que les Hessois déposent les armes pour se retirer du territoire de la Confédération. Or, ces derniers refusaient au motif d’une incompatibilité avec l’honneur militaire. Les négociations piétinèrent car les deux parties campaient sur leurs positions. Les pourparlers ne reprirent que lorsque le chef d’état-major hessois Ferdinand du Hall présenta des excuses formelles au nom de l’armée fédérale allemande.
Le Conseil fédéral mobilisa l’Armée suisse le 24 juillet 1849.
Le Conseil fédéral mobilisa l’Armée suisse le 24 juillet 1849. Dodis
Le commandement supérieur fut confié au Général Henri Dufour.
Le commandement supérieur fut confié au Général Henri Dufour. Musée national suisse
Les négociations diplomatiques aboutirent finalement à un accord. Le 28 juillet, l’état-major des troupes fédérales allemandes fit remettre une déclaration en cinq points à l’attention du Commissaire fédéral. Le document précisait entre autres que l’état-major n’avait pas eu connaissance de la navigation de ses troupes sur le cours d’eau situé en Suisse et que l’occupation de Büsingen ne découlait en aucun cas d’une intention d’enfreindre la neutralité suisse. Les négociations sur le retrait des Hessois de Büsingen purent ensuite se poursuivre. Le 30 juillet à 13 heures, les troupes se mirent en marche tambour battant et baïonnette au canon et se dirigèrent vers Gailingen. Güntert, le vétérinaire fait prisonnier à Büsingen, fut emmené en voiture et relâché après 50 jours de détention. Côté suisse, deux compagnies et demie d’infanterie et une compagnie de cavalerie furent prévues pour escorter les Hessois en territoire suisse jusqu’à Gailingen. Cependant, dans l’ignorance de l’itinéraire à suivre, les troupes hessoises prirent la direction de Randegg et furent arrêtées à la frontière par les troupes suisses de réserve. La marche put reprendre une fois les troupes chargées de l’escorte enfin arrivées sur place. Malgré un détour par Dörflingen, les Hessois finirent par atteindre Gailingen. Pendant ce temps, l’Helvetia repartait à Constance sous escorte de la Confédération, battant pavillon suisse avec deux officiers suisses à bord. Grâce aux négociations, l’affaire de Büsingen s’acheva sans bain de sang, et sans qu’aucune des deux parties impliquées ne perde la face. Par la suite, les troupes furent considérablement réduites des deux côtés de la frontière.

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