À l’automne 1632, les cantons de Berne et de Soleure s’affrontèrent entre Oensingen et Balsthal. Illustration de Marco Heer.
À l’automne 1632, les cantons de Berne et de Soleure s’affrontèrent entre Oensingen et Balsthal. Illustration de Marco Heer.

L’affaire de la cluse de Balsthal

À l’automne 1632, les cantons de Berne et de Soleure passèrent à un cheveu de la guerre civile. Finalement, une «négociation» permit d’éviter le conflit. Découvrez un épisode sanglant qui eut lieu pendant la guerre de Trente Ans.

Adrian Baschung

Adrian Baschung

Adrian Baschung est historien et directeur du musée Altes Zeughaus de Soleure.

Au début de l’hiver 1632, on fit une découverte macabre dans la Dünnern, un petit affluent de l’Aar, dans le Jura soleurois. La rivière avait charrié le corps sans vie de Hans Breiter, un soldat bernois. Ce cadavre était le dernier témoin d’un événement qui avait amené l’ancienne Confédération au bord de la guerre civile: l’affaire de la cluse de Balsthal en septembre 1632. Pendant des siècles, cette cluse, une gorge du Jura située entre Oensigen et Balsthal et traversée par la Dünnern en direction de l’Aar, représenta un passage majeur pour rejoindre Bâle par le col du Haut-Hauenstein. Plusieurs châteaux en ruine ainsi que quelques forteresses encore debout près de la cluse attestent de l’importance de ce col dès le Moyen Âge central. Deux châteaux forts dominent encore cette partie du Jura soleurois aujourd’hui. Le château de «Neu-Bechburg», construit près d’Oensingen et visible de loin, avait pour mission de surveiller l’accès par le sud tandis que celui de «Alt-Falkenstein» contrôlait l’étroit passage situé au nord dans l’actuelle Balsthal. C’est cette cluse qui, à l’automne 1632, devint le théâtre de l’épisode déjà évoqué qui faillit dégénérer en conflit militaire entre les cantons de Berne et de Soleure, et menaça la paix confessionnelle, encore instable, entre États catholiques et réformés.
Le château de Neu-Falkenstein dans une illustration datant de 1820.
Le château de Neu-Falkenstein dans une illustration datant de 1820. Musée national suisse
Le château de Neu-Bechburg près d’Oensingen, peinture de Caspar Wolf, 1778.
Le château de Neu-Bechburg près d’Oensingen, peinture de Caspar Wolf, 1778. Wikimedia
Depuis la Réforme et la Contre-Réforme, la situation était plus que tendue entre cantons réformés et cantons catholiques de la Confédération. Bien que les dissensions confessionnelles soient réglées depuis 1531 avec la seconde paix de Kappel, les deux camps se vouaient une méfiance mutuelle, qui fut renforcée par la guerre de Trente Ans (1618-1648). Alors que les cantons réformés étaient tournés vers l’Union protestante, les États catholiques s’étaient unis à la Ligue catholique du Saint-Empire. Si la Confédération se déclara neutre dans ce conflit hégémonique du Saint-Empire romain germanique, en son sein, toutefois, cette guerre dévastatrice se révéla être une épreuve de vérité pour les États confédérés.

Berne contre Soleure: un drame en plusieurs actes

Des incidents vinrent exacerber la situation déjà tendue dans les rapports entre l’État catholique de Soleure et le canton réformé de Berne et renforcer la méfiance mutuelle. En avril 1629, notamment, un capucin converti au protestantisme fut arrêté à Olten en même temps que son compagnon de route, un théologien bernois, événement qui conduisit sans doute la population du village de Bätterkinden, dans le canton de Berne, à s’en prendre plus tard à son tour à un capucin originaire de Soleure. Lorsque les Suédois protestants intervinrent dans la guerre de Trente Ans, les volontaires réformés tentèrent de rejoindre l’armée suédoise bien que la Diète fédérale eût interdit tout soutien militaire. C’est ainsi qu’une troupe de mercenaires bernois se retrouva à traverser la cluse en mars 1632 sans l’autorisation du Conseil soleurois afin de rejoindre l’armée du roi de Suède Gustave II Adolphe (1594-1632). Lorsque Soleure protesta, le Conseil bernois prétendit tout ignorer de cette manœuvre, affirmation qui se révéla par la suite être un mensonge. Toutefois, on s’accorda sur le fait que désormais, Berne devrait demander l’autorisation à Soleure pour faire passer ses troupes. Malgré cet accord, Soleure renforça la surveillance de la cluse, ce qui irrita à leur tour ses voisins de Haute-Argovie, dans le canton de Berne.
Les soldats réformés étaient les bienvenus parmi les troupes du roi de Suède Gustave II Adolphe.
Les soldats réformés étaient les bienvenus parmi les troupes du roi de Suède Gustave II Adolphe. Wikimedia
C’est au milieu de cette tension qu’un lieutenant de carabiniers du nom de Stein fit irruption avec une troupe de 40 à 50 mousquetaires bernois. Menacée par la guerre de l’autre côté du Rhin, la ville de Mulhouse avait appelé ses alliés protestants à la rescousse, appel auquel Berne avait répondu en envoyant ses troupes. Le lieutenant Stein prit donc le chemin de la cluse avec ses soldats pour rejoindre Mulhouse en passant par Bâle. Le 16 septembre 1632, arrivé à la cluse, il requit l’autorisation de passer. Le bailli Urs Brunner, chargé de surveiller la cluse depuis le château de Falkenstein, lui interdit le passage car le lieutenant Stein n’était pas en mesure de présenter un laisser-passer. Le même jour, le bailli rédigea une missive qu’il envoya à Soleure. Le lendemain, les Bernois quittèrent leur camp de Niederbipp pour se rendre dans la cluse. Comme aucune nouvelle n’était arrivée en provenance de Soleure, le bailli Brunner interdit à nouveau l’accès au col. Refoulé à deux reprises, le lieutenant bernois envoya une missive à Berne dans laquelle il décrivit une situation de façon apparemment plus dramatique qu’elle ne l’était en réalité.
Manuel avec illustrations pour les exercices avec le mousquet, 1635.
Manuel avec illustrations pour les exercices avec le mousquet, 1635. Wikimedia
Le Conseil soleurois, inquiet de la présence des soldats bernois dans la cluse, fit demander à Berne quel était l’objectif de cette troupe. Parallèlement, il renouvela son interdiction de traverser sans laisser-passer et exhorta le bailli de Bechburg, Philipp von Roll, à prêter assistance à son homologue du nord de la cluse. Le Conseil bernois réagit sur ces entrefaites. Soleure fut informée de la mission, tandis que le lieutenant Stein reçut l’ordre de passer, la cluse étant ouverte. Les deux missives parvinrent à leurs destinataires respectifs le 20 septembre. Après plusieurs jours d’attente, courrier de Berne en main, le lieutenant visiblement agacé exigea auprès du bailli Brunner l’autorisation de passer. Ce dernier avait réuni 400 hommes des environs qui se tenaient au pied du château de Falkenstein et bloquaient le passage. À ce moment-là, Brunner ne savait pas que le laisser-passer délivré en toute hâte par Soleure était en route pour être livré par messager.
Pas de passage possible: L'affaire de Kluus en automne 1632 a été le sommet des tensions entre Berne et Soleure. Illustration de Marco Heer
Pas de passage possible: L'affaire de Kluus en automne 1632 a été le sommet des tensions entre Berne et Soleure. Illustration de Marco Heer
Berne et Soleure se faisaient donc face. Des deux côtés, les hommes se dévisageaient nerveusement, les mèches de leurs mousquets rougeoyaient, leurs mains se crispaient sur leurs armes. Qu'allait-il se passer à présent? Fallait-il attaquer? Ou se mettre en position de défense? Pour bien souligner sa volonté de bloquer le passage, le bailli Brunner fit procéder à des tirs de sommation par la garde et depuis le château. Le lieutenant Stein céda et, à contrecœur, demanda une nouvelle fois à ses troupes de rebrousser chemin. Mais avant que les Bernois ne puissent atteindre la frontière du canton, ils tombèrent nez à nez avec une troupe de 150 Soleurois au sud de la cluse. Alerté par les tirs de sommation, le bailli de Bechburg, Philipp von Roll, s’était mis en marche avec ses hommes et repoussait à présent les Bernois à l’intérieur de la cluse. Ces derniers se retrouvèrent donc encerclés par les Soleurois au nord et au sud et coincés entre les parois rocheuses de la cluse et la Dünnern gonflée par les fortes pluies incessantes.
Exemples de mousquets à mèche du 17e siècle au musée Altes Zeughaus Solothurn.
Exemples de mousquets à mèche du 17e siècle au musée Altes Zeughaus Solothurn. Photo: Nicole Hänni / Museum Altes Zeughaus
C’est alors que le bailli von Roll, dont on dit qu’il avait trouvé du courage dans la bouteille, se présenta devant les hommes encerclés et exhorta ces «satanés mécréants de Bernois» à éteindre les mèches incandescentes de leurs mousquets. Un soldat bernois qui n’obéit pas assez vite fut jeté à terre par l’un des serviteurs de Philipp von Roll. Cette empoignade sembla balayer tous les scrupules du bailli. «À l’assaut, je ne veux voir personne quitter cette cluse!» Philipp von Roll se mit à vociférer et tira dans le tas. Au même moment, un coup de feu retentit du côté de Falkenstein, et les Soleurois assaillirent les Bernois. Toute retenue avait disparu. Sans défense, les soldats bernois n’eurent plus qu’une chose à faire: s’enfuir. Mais où? La route du col était bloquée et les versants de la cluse abrupts. Maints d’entre eux tentèrent de se sauver en traversant la Dünnern. Mais ses eaux étaient si déchaînées qu’ils furent nombreux à être entraînés vers un ponton où les attendaient déjà d’autres Soleurois pour les molester à coups de hallebardes et de mousquets. Lorsque le bailli Brunner réussit enfin à stopper cette folie, neuf soldats bernois avaient déjà succombé à ce déchaînement de violence. Les Soleurois emprisonnèrent 28 Bernois, dont certains étaient blessés, et le lieutenant Stein fut escorté par 100 mousquetaires pour être placé sous surveillance dans la cluse. Un Bernois, Hans Breiter, manquait à l’appel, tandis que les autres trouvèrent le salut dans la fuite. Une heure plus tard, le messager en provenance de Soleure fit son entrée dans la cluse avec le laisser-passer du contingent bernois.

Berne assoiffée de vengeance

Les conséquences de cette agression disproportionnée ne se firent pas attendre. Berne fit sentir sa colère à Soleure et exigea réparation. Les coupables devaient être punis et le dédommagement accordé à la hauteur du préjudice. Du côté soleurois, beaucoup prirent le parti des baillis impliqués ainsi que de leurs familles influentes. Par peur d’une attaque militaire, la région fut placée en état d’alerte. De son côté, Berne planifia sa vengeance et les deux parties firent appel à leurs alliés pour solliciter leur soutien en cas d’affrontement armé. Soleure finit par requérir un arbitrage fédéral lors de la Diète afin de clarifier la situation.
Johann von Roll, avoyer de Soleure à cette période, était le père de Philipp. Gravure sur cuivre datant du début du XVIIIe siècle.
Johann von Roll, avoyer de Soleure à cette période, était le père de Philipp. Gravure sur cuivre datant du début du XVIIIe siècle. Wikimedia / Bibliothèque centrale de Soleure
Pour Berne, le coupable était tout désigné dans cette malheureuse affaire: les Soleurois devaient payer! La Diète accéda en fin de compte essentiellement aux requêtes de Berne. Après de longues tergiversations, au cours desquelles les Soleurois firent plusieurs tentatives de corruption, Soleure releva les deux baillis de leurs fonctions et emprisonna certains de ses sujets. C’était insuffisant pour Berne. Les Bernois mobilisèrent leurs troupes et imposèrent un embargo commercial à l’encontre de Soleure. Celle-ci dut bon gré mal gré sanctionner les deux baillis Brunner et von Roll et les convoquer au tribunal. Mais les deux hommes avaient déjà décampé en Bourgogne. Philippe von Roll et Urs Brunner furent condamnés à l'exil par contumace, le premier pendant 101 ans et le second pendant 6 ans, et leur fortune leur fut confisquée.
Panneau scolaire d’une Diète fédérale. Publié par l’Association suisse des enseignants, 1947
Mais Berne voulait voir le sang couler pour ce «fratricide» et les deux parties ainsi que leurs alliés se préparaient déjà à une confrontation militaire. Le canton catholique céda afin d’éviter une guerre civile et Soleure accepta d’endosser la pleine culpabilité. En 1633, Soleure versa 5000 couronnes de dédommagement à Berne et condamna à mort trois de ses sujets. Le 11 avril, les trois hommes furent exécutés à Soleure par l’épée.

Animaux en guerre

28.10.2023 26.05.2024 / Museum Altes Zeughaus Solothurn
La relation homme-animal est aussi ancienne que l'humanité elle-même. Depuis l'Antiquité, il existe une multitude de témoignages dans lesquels les animaux font partie de l'action guerrière. Par exemple, les éléphants de guerre d'Hannibal ou les montures des chevaliers et des cavaliers. Les animaux sont impliqués dans les conflits armés en tant que secouristes et consolateurs, et les petits animaux comme les poux jouent également un rôle dans les guerres. Dans l'exposition, nous montrons le large spectre des liens entre l'animal et l'homme dans le cadre militaire, du passé au présent. Les effets directs et indirects des guerres sur le monde animal sont également abordés.

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