Moulins souterrains: la force de l’eau, le pouvoir de l’ambition
L’habileté politique de Jonas Sandoz lui permit d’obtenir le droit d’exploiter des moulins dans la grotte du Col-des-Roches. Il y développa une activité prospère, avant d’être rattrapé par des problèmes d’argent.
À cette époque, le droit d’utiliser un cours d’eau est strictement règlementé. Pour construire ou exploiter un moulin, il faut disposer d’une autorisation nommée acensement, délivrée par le Conseil d’État, lequel dirige la principauté de Neuchâtel pour le compte de la famille des Orléans-Longueville. En contrepartie, le propriétaire du moulin s’engage à payer un cens, calculé selon le nombre de machines et la rentabilité probable de son moulin.
Déplacer ce moulin vers l’aval, en direction de l’ouest, l’amène vers un endroit bien plus favorable, quoiqu’improbable: la grotte du Col-des-Roches. Dans cette cavité que la nature a creusée à plus de vingt mètres sous le niveau du sol, l’eau qui traverse la vallée du Locle se rassemble, formant une chute d’une dizaine de mètres. C’est donc l’endroit idéal pour fournir de l’énergie hydraulique. Sauf que cela imposera, pendant des décennies, de travailler sous terre. Dans le froid, l’humidité, l’obscurité.
Face aux prétentions de Jonas Sandoz, ils se préparent à défendre leurs droits. Mais la lutte est inégale. Receveur des Montagnes neuchâteloises, futur lieutenant de la cour de justice du Locle (1678), Jonas Sandoz a pour lui le prestige de la fonction. C’est de plus un caractère fort, autoritaire et tracassier, qui n’aime rien tant que la chicane et multiplie les procès au cours de sa vie. Le 2 août 1660, le Conseil d’État lui accorde la concession sur le Bied depuis la sortie du Locle – c’est-à-dire le cumul des concessions accordées en 1549 et 1652 – ainsi que le droit de construire quatre rouages pour des moulins et deux pour huilière et rebatte. Les fondateurs du moulin n’ont plus qu’à s’en aller, munis tout de même d’un dédommagement financier.
Au Col-des-Roches, par contre, son activité est digne de tous les éloges. Dans la grotte, il installe cinq roues hydrauliques – moins que les six auxquelles il avait droit. Pour poser les plus profondes, il doit faire excaver la grotte afin d’aménager des cavités pour abriter les rouages, des canaux, pour que l’eau circule d’une roue à l’autre, des passages et des escaliers pour les travailleurs. Un travail titanesque mené à bien avec des moyens rudimentaires et, semble-t-il, dans un délai de trois ans. En février 1663, le Conseil d’État, en reconnaissance «du grand travail, et des grands frais qu’il a faits pour la construction desdits rouages», accorde à Jonas Sandoz la permission de construire et de faire fonctionner sur ses roues hydrauliques toutes les machines qu’il jugera bon. Une générosité étonnante puisque d’habitude, nous l’avons vu, un acensement décrit précisément les machines autorisées, le cens étant fixé en fonction du produit du moulin.
Leurs nouveaux propriétaires amènent à chaque fois divers perfectionnements. Vers 1830, les moulins sont installés en surface; il ne reste dans la grotte que les roues hydrauliques. En 1845 un vaste bâtiment est construit pour abriter des moulins modernes, dits à l’anglaise. Deux turbines remplacent les roues hydrauliques en 1854. À la fin du 19e siècle, l’arrivée de l’électricité rend obsolète l’emploi de l’énergie hydraulique. Les moulins sont désaffectés et les bâtiments attribués à l’abattoir-frontière du Col-des-Roches à partir de 1899. Après leur fermeture en 1966, le site est restauré et ouvert au public en 1987.


