Original de la reine Victoria réalisé le 2 septembre 1868: vue sur le Titlis depuis Engelberg.
Original de la reine Victoria réalisé le 2 septembre 1868: vue sur le Titlis depuis Engelberg. Royal Collection Trust

Aquarelles et dessins royaux

La reine Victoria fut en son temps la femme la plus puissante du monde. En 1868, elle vint se reposer en Suisse et réalisa de nombreux dessins et peintures de paysages, dont beaucoup peuvent encore être admirés aujourd’hui.

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw est docteur en histoire, poète et écrivain. Il publie régulièrement des ouvrages historiques.

Les paysans de la Seebodenalp, au pied du Rigi, n’en crurent sans doute pas leurs yeux lorsqu’ils aperçurent un grand groupe de voyageurs anglophones, chargés de paniers et de sacs, descendre du sommet de la montagne vers l’alpage avec leurs chevaux. Ils virent ensuite des serviteurs déplier des chaises et installer un chevalet devant une modeste étable. Une petite femme prit alors place et se mit à peindre. Cette scène se déroula dans l’après-midi du 27 août 1868. 45 minutes plus tard, le groupe replia bagage et poursuivit son chemin, «une descente abrupte sur des sentiers sinueux bordés d’arbres fruitiers à perte de vue. [...] Nous avions tous le sentiment que la journée avait été excellente.» La personne qui s’était installée pour peindre sur la Seebodenalp et en fit plus tard le récit dans son journal n’était autre que Victoria, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Elle était à l’époque la femme la plus puissante du monde. À la tête d’un empire comptant plus d’un milliard de sujets, elle eut neuf enfants, fut impliquée dans 229 guerres et révoltes, et survécut à sept attentats et 21 cabinets. La «grand-mère de l’Europe» eut 40 petits-enfants, 88 arrière-petits-enfants et donna son nom son époque: l’«ère victorienne». La reine Victoria régna 63 ans.
La reine Victoria vers 1868: elle était à l’époque la femme la plus puissante du monde.
La reine Victoria vers 1868: elle était à l’époque la femme la plus puissante du monde. Historisches Museum Luzern
Aquarelle réalisée à l’heure du thé: l’étable sur la Seebodenalp, au pied du Rigi.
Aquarelle réalisée à l’heure du thé: l’étable sur la Seebodenalp, au pied du Rigi. Royal Collection Trust
Lorsqu’elle entreprit son voyage en Suisse en 1868, Victoria était pourtant une femme brisée, une reine blessée et désemparée. Elle fuyait en réalité les lourdes responsabilités et les nombreuses obligations qui lui incombaient en tant que souveraine de l’Empire britannique. Après la mort de sa mère, et plus encore celle de son époux le prince Albert, la reine Victoria sombra dans une profonde dépression. Elle souffrait de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de burn-out aigu. Son voyage de quatre semaines en Suisse devait lui permettre de se reposer et de se rétablir. Le cortège royal arriva à Lucerne en août 1868. Pour trouver le calme et la quiétude auxquels elle aspirait, Victoria voyageait sous le nom de «Comtesse de Kent», laissant ainsi entendre qu’elle ne souhaitait pas être accueillie en tant que reine mais qu’elle séjournait en Suisse à titre privé. La pension Wallis où elle logeait à Lucerne offrait un panorama imprenable, comme elle le relata avec enthousiasme dans son journal.
Vue sur le Rigi depuis Lucerne, où elle séjournait.
Vue sur le Rigi depuis Lucerne, où elle séjournait. Royal Collection Trust

La vue … sur la ville avec le lac en toile de fond, entourée de somptueuses montagnes et d’une végéta­tion luxuriante au premier plan, est idéale. C’était exacte­ment ce dont j’avais rêvé, mais j’avais peine à croire que ce rêve s’était réalisé!

Reine Victoria, 1868
Une scène gracieuse: quatre pêcheurs pagayant sur le lac des Quatre-Cantons.
Une scène gracieuse: quatre pêcheurs pagayant sur le lac des Quatre-Cantons. Royal Collection Trust

Le thé toujours servi à l’heure

Au cours des jours et des semaines qui suivirent, elle parcourut toute la Suisse centrale, faisant preuve d’une énergie étonnante pour une monarque affaiblie: Victoria visita la chapelle de Tell, débarqua à Brunnen et Küssnacht, se rendit aux Mythen, à Goldau, à Zoug, sur le mont Pilate, à l’église de pèlerinage de Hergiswald, sur le col du Brünig et à Engelberg, sans oublier Rigi-Kulm et la Seebodenalp. Quel que soit l’endroit où se trouvaient les voyageurs, il était un rituel immuable: comme le voulait la tradition anglaise, le thé devait être servi à 17 heures précises, une tâche parfois très compliquée pour le personnel. La reine se promenait, montait les chevaux qu’elle avait amenés d’Angleterre, écrivait, se reposait, et se sustentait. Elle prenait toujours le temps de dessiner et de peindre à l’aquarelle les paysages suisses, dont elle s’imprégnait totalement. La description du lac des Quatre-Cantons consignée dans son journal témoigne de son œil averti pour la peinture: «Le lac, magnifique étendue bleu saphir et vert émeraude, passe d’une couleur à l’autre. [...] La vue est somptueuse et rien ne peut surpasser la beauté du lac, quel que soit l’angle de vue.»
Dominante de violet: le Pilate représenté par la reine a des accents impressionnistes.
Dominante de violet: le Pilate représenté par la reine a des accents impressionnistes. Royal Collection Trust
Le lac de Zoug sous un jour inédit: la reine Victoria était à Cham lorsqu’elle réalisa cette aquarelle.
Le lac de Zoug sous un jour inédit: la reine Victoria était à Cham lorsqu’elle réalisa cette aquarelle. Royal Collection Trust
La reine passa plus d’un mois en Suisse centrale. Pendant son séjour, elle réalisa quelque 59 dessins et aquarelles, aujourd’hui conservés dans la célèbre «Royal Collection» à Londres. La monarque avait en effet suivi des cours de dessin et de peinture dès l’âge de huit ans, notamment auprès d’artistes réputés. De nombreuses réalisations, parmi lesquelles ses paysages de Suisse, attestent de son talent.

L’indispensable chevalet dans les bagages

Lors des pérégrinations de la reine à travers la Suisse centrale, sa cour se devait toujours d’emporter un chevalet, des pinceaux, de la peinture, ou à tout le moins un carnet de croquis. La souveraine s’asseyait ensuite, esquissait des dessins au crayon et au fusain ou peignait directement à l’aquarelle. Parmi les réalisations de la reine, on peut notamment citer les panoramas sur le Titlis et les Spannörter depuis Engelberg, ainsi que les vues sur le Pilate, le Rigi et les lacs d’Alpnach, de Lauerz et de Zoug. Victoria ne se limitait toutefois pas aux vues d’ensemble. Elle dessina ou peignit également un refuge sur la Seebodenalp, un bateau de pêcheurs sur le lac des Quatre-Cantons, une ferme à Schwarzenberg ou encore le pont du diable dans le canton d’Uri. Les travaux qu’elle réalisa lors de son voyage en Suisse témoignent d’un sens aigu de l’observation, d’un choix avisé des compositions de couleurs et d’un trait calme et patient.
Un petit air de fjord norvégien: le lac d’Alpnach peint par la souveraine.
Un petit air de fjord norvégien: le lac d’Alpnach peint par la souveraine. Royal Collection Trust
Victoria avait été conquise par la météo très changeante: son tableau de la région de la Furka.
Victoria avait été conquise par la météo très changeante: son tableau de la région de la Furka. Royal Collection Trust
La chaleur de plus en plus caniculaire qui frappait alors la Suisse finit toutefois par fatiguer la souveraine en surpoids. L’épuisement qu’elle avait ressenti au Royaume-Uni refit surface. Cet été-là fut en effet le plus chaud jamais enregistré de mémoire d’homme. La reine écrivit à propos de cette vague de chaleur: «Ce climat est épouvantable ... tellement humide et moite, quand il ne fait pas une chaleur torride, je me sens terriblement fatiguée, je souffre de maux de tête constants et n’ai presque pas d’appétit.» En quête d’un peu de fraîcheur, la compagnie traversa le lac des Quatre-Cantons pour rejoindre Flüelen et parcourut ensuite le canton d’Uri jusqu’à l’Urseren. Elle atteignit finalement le col de la Furka, où elle fit halte dans une «misérable auberge aux chambres petites, vétustes et mal meublées», comme le déplora la reine dans son journal. Au col de la Furka, Victoria trouva un temps plus brumeux et plus froid qu’elle ne l’aurait souhaité. Elle grelottait! Il tombait de la grêle et même quelques flocons de neige. Soudain, le soleil réapparut, offrant aux touristes anglais un spectacle somptueux qui inspira à la reine une aquarelle. La reine s’émerveilla devant le glacier du Rhône: «La vue est si extraordinaire qu’elle semble presque irréelle!» Elle s’installa et réalisa un tableau grand format des blocs de glace dentelés, tout en savourant bien entendu son traditionnel thé de l’après-midi.
Représentation en double largeur: le glacier du Rhône impressionna la souveraine.
Représentation en double largeur: le glacier du Rhône impressionna la souveraine. Royal Collection Trust
Le long règne de la reine Victoria a laissé un héritage politique, notamment marqué par l’expansion des colonies et le «splendide isolement», mais aussi culturel. Son expression artistique et sa ferveur ont permis aux panoramas des montagnes suisses de faire le tour du monde.

Visites royales – de Sissi à la reine Élisabeth

13.06.2025 09.11.2025 / Musée national Zurich
Bien que la Suisse n’ait jamais eu de tradition monarchique, les histoires des maisons royales ont toujours suscité la fascination dans notre pays. Qu’il s’agisse d’impératrices, de reines ou de princesses : peu importe que les visites royales aient été motivées par des raisons politiques, économiques ou privées. À l’époque comme aujourd’hui, elles avaient en commun la capacité de susciter un enthousiasme et une fascination immenses au sein de la population suisse. C’est ce que montre l’exposition à travers d’innombrables tableaux et objets exclusifs ayant appartenu aux membres des familles royales.

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