
Un horloger hors du temps
Édouard Kaiser, de La Chaux-de-Fonds, était issu d’une famille d’horlogers et consacra une partie de son œuvre picturale à cet artisanat en mutation.
Cette comparaison révèle un déplacement important du propos. Tandis que Georges de La Tour met au premier plan l’atmosphère chargée de mysticisme, ce qui compte pour Kaiser est de documenter minutieusement un savoir-faire. Tout, dans sa composition, est organisé pour que nous observions de très près les doigts de ce vieil artisan plein de dignité, même si le manque de connaissances sur la fabrication horlogère limite rapidement notre compréhension de la scène. Est-il occupé à limer, poinçonner, graver?
La fabrication horlogère, qui avait tout d’abord été externalisée dans les régions pauvres du Jura, où des paysans en quête de gagne-pain la pratiquaient à domicile, était de plus en plus confiée à des manufactures quasi industrielles. La dégradation des conditions de travail que cela entraînait, la pression croissante due au travail à la tâche, finirent par causer des soulèvements dans la population ouvrière.
À l’Exposition universelle de 1900, qui eut lieu à Paris, Kaiser eut beaucoup de succès avec cette œuvre, qui lui valut une médaille d’argent à l’exposition internationale d’art. Elle fut même reproduite dans le catalogue officiel, contrairement à d’autres tableaux de Ferdinand Hodler ou de Cuno Amiet exposés eux aussi (mais non récompensés).
Les photographes de l’époque avaient moins peur de se frotter à la réalité. Ce qui pose justement la question du rapport à la photographie, surtout pour des tableaux éminemment réalistes tels que «L’horloger».
Kaiser est ici révélateur. Dans une large mesure, son tableau «L’horloger» est une photographie transposée en peinture et en couleur. Il ressemble au détail près à une scène photographiée vers 1890 par le célèbre photographe genevois Frédéric Boissonnas. Boissonnas diffusait ses photos commercialement, elles étaient répandues.
Le passage de la photographie à la peinture opéré par Kaiser montre à quelle clientèle il s’adressait: la bourgeoisie, qui dans sa hiérarchie de valeurs plaçait un tableau plus haut qu’une simple photographie. D’ailleurs, à l’Exposition universelle de 1900, les photos étaient présentées aux côtés d’autres artisanats, et non dans la section artistique.


