Les photochromes représentaient très souvent des paysages montagneux.
Les photochromes représentaient très souvent des paysages montagneux. Bibliothèque centrale de Zurich

La Belle Époque en couleur

Des photographies colorées pour tous: telle était l’idée du photochrome, procédé inventé à Zurich à la fin du XIXe siècle... qui n’a pas tardé à conquérir le monde entier.

Dominik Landwehr

Dominik Landwehr

Dominik Landwehr est un scientifique de la culture et des médias et vit à Zurich.

Au XXe siècle, les photographies populaires intéressaient peu les sciences culturelles et l’histoire de l’art. C’était également le cas à la bibliothèque centrale de Zurich. En 1974, lorsque Bruno Weber, alors directeur de la Collection d’art graphique, ouvrit le tiroir du bas d’une armoire de rangement, il y découvrit une collection de photographies colorées provenant du monde entier. Plein d’entrain, il entreprit de faire des recherches et de mettre ces clichés en valeur. Ces photographies sont aujourd’hui numérisées et font partie des objets qui attirent le plus l’intérêt des visiteurs à la bibliothèque. Et ce n’est pas tout: la bibliothèque centrale de Zurich possède l’une des plus grandes collections de photochromes de la Belle Époque du monde. Celle-ci compte 10 000 clichés et est accessible en ligne.
Jochen Hesse, directeur de la Collection d’art graphique de la bibliothèque centrale de Zurich.
Jochen Hesse, directeur de la Collection d’art graphique de la bibliothèque centrale de Zurich, se tient à côté de la collection de photochromes. Dominik Landwehr
Des scènes singulières telles que cette charrette pour le transport du lait tirée par des chiens en Belgique ont été immortalisées.
Des scènes singulières telles que cette charrette pour le transport du lait tirée par des chiens en Belgique ont été immortalisées. Bibliothèque centrale de Zurich

Zoom sur les touristes

Les photochromes montrent le monde coloré du tournant du siècle, période également appelée Belle Époque. Ils représentent le plus souvent des attractions touristiques, telles que les Alpes, des panoramas classiques de villes, des paysages de pays lointains ou encore des groupes exotiques du Caucase ou d’Afrique du Nord. Certaines photographies affichent également des scènes érotiques, souvent dans un cadre oriental. Les reproductions d’œuvres d’art populaires telles que La Poste du Gothard de Rudolf Koller constituent un groupe réduit de clichés. La réalité sociale de la Belle Époque, marquée par les guerres, la pauvreté généralisée et la misère, était volontairement dissimulée sur les photochromes. Ces derniers étaient au contraire la représentation d’un idéal et reflètent aujourd’hui le profil psychologique de cette époque. Les photochromes étaient proposés dans différents formats durant la Belle Époque. Les clichés n’en ont pas une moindre valeur sur le plan culturel et historique: ils nous permettent par exemple de contempler un groupe d’alpinistes traversant un glacier avec l’équipement élémentaire dont on disposait à l’époque. De nombreuses photographies de bâtiments donnent un aperçu de l’architecture de cette période, de l’auberge au sommet de l’Uetliberg à la légendaire Mulberry street dans le quartier new-yorkais de Manhattan, également appelée Little Italy. Un cliché belge, montrant deux chiens qui tirent une charrette de lait, suscite également l’intérêt. En effet, au début du XXe siècle, les chiens étaient encore utilisés comme animaux de trait dans de nombreux pays, y compris en Suisse.
Photochrome de Zurich.
Photochrome de Jérusalem.
Les panoramas touristiques de villes comme Zurich ou Jérusalem étaient très populaires durant la Belle Époque. Bibliothèque centrale de Zurich

Une base en noir et blanc

La photographie à la base des photochromes n’était pas en couleur mais en noir et blanc. Le procédé consiste en une impression lithographique, développée dans les années 1880 par le lithographe zurichois Hans Jakob Schmid (1856-1924). Le film négatif est appliqué sur une succession de pierres photosensibles. Pour chaque couleur à imprimer, une nouvelle pierre doit être exposée à la lumière. La préparation des négatifs pour chaque couleur requiert un travail manuel fastidieux. Certaines photographies obtenaient peu de couleurs, d’autres nécessitaient jusqu’à douze étapes. L’entreprise zurichoise Photochrom, filiale de l’imprimerie Orell Füssli, développa le procédé afin de le commercialiser et lança la vente de clichés colorés en 1889. En 1895, l’entreprise fut rebaptisée Photoglob Zürich. Elle a fêté son 125e anniversaire en 2014. Le procédé du photochrome connut également beaucoup de succès aux États-Unis; Photoglob fonda à Détroit la Photographic Company en 1898. Les couleurs utilisées étaient le fruit de l’imagination des imprimeurs, qui se référaient dans de nombreux cas – comme par exemple pour les vues populaires de Venise – à des représentations existantes.
Photochrome de Venise.
Venise était l’une des destinations les plus convoitées durant la Belle-Époque. Bibliothèque centrale de Zurich
Photochrome de Chicago.
Même les représentations du transport maritime rencontraient un franc succès. Cette photographie montre le transport fluvial sur la rivière Chicago. Bibliothèque centrale de Zurich

Erreurs et retouches

Il arrivait que les imprimeurs commettent des erreurs de coloration. Toutefois, seul un œil averti pouvait les déceler. De nombreux clichés étaient également retouchés: par exemple, des personnes étaient ajoutées a posteriori dans des paysages urbains ou des bâtiments étaient déplacés afin d’obtenir un meilleur effet. Cela n’entrave en rien le plaisir visuel. Au contraire: les plus fins observateurs esquissent toujours un sourire lorsqu’ils remarquent ces détails. Comment les imprimeurs obtenaient-ils des informations sur les couleurs? Ils se référaient à des sources sûres. À cette époque, ils pouvaient compter sur un nombre suffisant de modèles pour les panoramas de villes telles que Venise. Dans les autres cas, ils se fiaient à leur imagination. Cela est parfois lassant car la palette de couleurs utilisée est peu variée. L’essor des photochromes prit brusquement fin avec l’éclatement de la Première Guerre mondiale. L’entreprise zurichoise Photoglob transféra son activité vers la vente de cartes postales, et bientôt, de meilleures méthodes d’impression couleur virent le jour.
Vue de la ville d’Innsbruck.
Vue de la ville d’Innsbruck. Bibliothèque centrale de Zurich
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Les pyramides d’Égypte.
Les pyramides d’Égypte. Bibliothèque centrale de Zurich
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Les clichés de paysages de montagne étaient très appréciés.
Les clichés de paysages de montagne étaient très appréciés. Bibliothèque centrale de Zurich
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Les photographies colorées étaient aussi un support adapté à la reproduction de célèbres tableaux, comme ici La Poste du Gothard de Rudolf Koller, peint en 1873.
Les photographies colorées étaient aussi un support adapté à la reproduction de célèbres tableaux, comme ici La Poste du Gothard de Rudolf Koller, peint en 1873. Bibliothèque centrale de Zurich
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Le chemin de fer était lui aussi un motif très populaire.
Le chemin de fer était lui aussi un motif très populaire. Bibliothèque centrale de Zurich
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