Nouvelle femme, nouveau bonheur: Léopold épouse en 1907 Maria Ritter, une ancienne prostituée comme sa première femme.
Nouvelle femme, nouveau bonheur: Léopold épouse en 1907 Maria Ritter, une ancienne prostituée comme sa première femme. Pinterest

Léopold et les femmes

Léopold Wölfling se remarie, une fois de plus avec une femme de réputation douteuse. Sa naturalisation est elle aussi en mauvaise posture. Sa sœur Louise, qui vit également en Suisse, a l’occasion de prendre sa revanche sur la maison royale de Saxe...

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw est docteur en histoire, poète et écrivain. Il publie régulièrement des ouvrages historiques.

Cinq ans après leur fuite d’Autriche, Léopold Wölfling, ancien archiduc d’Autriche, et sa sœur Louise font toujours la une des journaux suisses. Léopold divorce de l’ancienne prostituée Wilhelmine Adamovic. Et il a déjà trouvé une nouvelle maîtresse, comme on le découvrira plus tard: elle s’appelle Maria Magdalena Ritter, elle a 30 ans et, comme Wilhelmine avant elle, elle exerce le plus vieux métier du monde.
«Le nouveau roman sentimental de Léopold Wölfling», raille l’Illustrierte Kronenzeitung en octobre 1907.
«Le nouveau roman sentimental de Léopold Wölfling», raille l’Illustrierte Kronenzeitung en octobre 1907. Illustrierte Kronenzeitung
Wölfling affranchit Maria Magdalena à Munich en versant 10 000 marks à un proxénète au surnom évocateur, «Auguste le boucher». Le genre d’hommes avec lequel on ne plaisante pas... Devant les journalistes, Léopold déclare que Maria est une dame «de très bonne éducation et d’une grande intelligence». Il annonce également qu’il souhaite l’épouser le plus rapidement possible. Non plus à Genève ou à Zoug, mais à Zurich.
Communication tirée des Neue Zürcher Nachrichten du 28 septembre 1907.
Communication tirée des Neue Zürcher Nachrichten du 28 septembre 1907. e-newspaperarchives
Contre toute attente, Léopold s’installe avec Maria dans la commune rurale de Regensdorf, où ils occupent très simplement une chambre de l’auberge Zur alten Post. Pour l’ancien prince et archiduc, cet environnement est certainement très inhabituel. La nouvelle maîtresse de Wölfling se fait immédiatement remarquer dans la petite ville de Regensdorf: c’est une «dame d’une trentaine d’années, très élégamment vêtue, avec des cheveux noirs, un joli visage intelligent, une silhouette bien proportionnée, pleine de vie et de savoir-vivre», rapporte le Neuigkeits-Welt-Blatt de Vienne, qui mentionne également la «riche parure de brillants qui orne son cou et son poignet» et la «magnifique pierre précieuse» à son doigt. Léopold et Maria Magdalena quittent Regensdorf le 27 octobre 1907 pour se rendre à Zurich. Ils se marient à l’hôtel de ville au bord de la Limmat à 11 h 30 précises. Une fois de plus, le mariage est célébré sans grande pompe, avec des invités peu nombreux: six personnes seulement participent au dîner de noces, dont deux sœurs de la nouvelle Madame Wölfling-Ritter.
Léopold Wölfling trouve un nouveau foyer dans la commune rurale de Regensdorf. Mais il ne passe pas longtemps inaperçu...
Léopold Wölfling trouve un nouveau foyer dans la commune rurale de Regensdorf. Mais il ne passe pas longtemps inaperçu... ETH Bibliothek Zurich
L’avocat de Léopold entame par la suite des tractations avec la commune de Regensdorf. Léopold, affirme-t-il, veut devenir citoyen de Regensdorf et renoncer à son droit de cité actuel de Zoug. En sus des frais d’admission réguliers, l’ancien archiduc est prêt à payer plusieurs centaines de francs par an «pour certaines prestations», par exemple pour les pauvres de la commune. La commune fait monter les prix, tandis que l’avocat cherche à négocier les meilleures conditions possibles. Ce marchandage indigne se conclut finalement par un prix d’achat de 800 francs et un versement annuel de 600 francs. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, la rédaction du Wehntaler obtient des informations croustillantes de sources privilégiées: sous ses airs nobles, Léopold, loin d’être un homme d’honneur, est en fait «mondialement connu pour ses frasques sentimentales». Wölfling mènerait une vie dissolue: «tantôt il s’amuse dans des capitales du monde entier, puis il se sent provisoirement porté sur les créatures à moitié nues d’Ascona, tantôt il apparaît au bord du lac de Zoug avec ses nymphes. [...] On nous présentera bien sûr le grand Léopold comme un parangon de vertu de premier ordre. [...] Vous voulez mettre en péril la bonne réputation de votre commune pour quelques méprisables pièces d’argent. Nous, habitants de Regensdorf, n’avons pas besoin d’orner notre conseil de noms de princes autrichiens, et nous n’hésiterons pas à renoncer au droit de cité de ceux qui nous font pareils cadeaux empoisonnés.»
De l’archiduc au bourreau des cœurs: le changement de vie de Léopold Wölfling interroge.
De l’archiduc au bourreau des cœurs: le changement de vie de Léopold Wölfling interroge. Wikimedia
Certains journaux, comme le Graubündner General-Anzeiger, apportent un éclairage critique sur la quête de Léopold d’un nouveau foyer.
Certains journaux, comme le Graubündner General-Anzeiger, apportent un éclairage critique sur la quête de Léopold d’un nouveau foyer. e-newspaperarchives
Mais ces avertissements restent sans effet: le dimanche 21 juin 1908, les citoyens de Regensdorf approuvent à l’unanimité la naturalisation de l’aristocrate. En revanche, les documents secrets du Wehntaler font des dégâts à Zoug. Il s’avère que quelqu’un à Zoug a protégé l’archiduc lorsqu’il s’y est installé et s’y est fait naturaliser. Le scandale fait grand bruit. Bientôt, les journaux suisses parlent ouvertement de «l’affaire Wölfling», et les autorités zougoises y ont le mauvais rôle. Une enquête administrative menée à Zoug et à Berne n’aboutit à aucun résultat tangible, mais laisse un sentiment amer.

Louise reçoit une visite inattendue

La sœur de Léopold, Louise, suscite aussi des sentiments ambivalents. Elle a d’abord mis au monde son bébé Pia Monica à Lindau, près du lac de Constance. Ne tenant pas en place, elle part vivre avec son bébé en France et en Angleterre, avant de revenir en Suisse. Elle est hébergée au château de Wartegg, la résidence seigneuriale de la famille Bourbon de Parme, qui lui est apparentée. Le petit château, avec sa tour caractéristique sur le Rorschacherberg (c’est aujourd’hui un hôtel ouvert au public), appartient à son oncle, Robert Bourbon de Parme. Il met le chalet dans le parc du château à sa disposition permanente. C’est une belle et spacieuse bâtisse de trois étages, légèrement cachée par la verdure d’un parc pittoresque. Il est aménagé dans le style chalet suisse et ceint d’une agréable véranda décorée d’adorables ornements en bois découpé.
Le château Wartegg à Rorschacherberg, où Louise vit après la naissance de Pia Monica.
Le château Wartegg à Rorschacherberg, où Louise vit après la naissance de Pia Monica. Museum Rorschach
Sans doute Louise se promène-t-elle sur le Rorschacherberg, à travers le grand parc aux arbres centenaires, en pensant à ses cinq enfants plus âgés, qui grandissent auprès de gouvernantes étrangères, loin d’elle, à Dresde. Elle n’a que quatre bulletins officiels par an sur l’état de ses enfants, des comptes rendus très succincts et peu à même de nourrir ses sentiments maternels.
Louise avec deux de ses fils aînés, dans les années 1890.
Louise avec deux de ses fils aînés, dans les années 1890. Wikimedia
Portrait de l’oncle de Louise, Robert Bourbon de Parme.
Portrait de l’oncle de Louise, Robert Bourbon de Parme. Wikimedia
Un jour, Louise reçoit une visite inattendue. Deux messieurs qu’elle n’a jamais vus veulent s’entretenir avec elle d’«une affaire personnelle urgente». Comme les visiteurs parlent un saxon parfait, Louise les reçoit, espérant obtenir des nouvelles de ses enfants. Mais les hommes se présentent comme des dirigeants du parti socialiste saxon. «Votre Altesse Impériale», dit l’un d’eux d’un ton grandiloquent, «nous sommes venus vous demander de retourner à Dresde sous notre protection.» Louise est stupéfaite, mais les écoute jusqu’au bout. «Nous avons, nous pouvons en témoigner, le pouvoir de renverser le régime actuel. Revenez avec nous, vengez-vous de vos ennemis, et vous deviendrez la reine rouge de Saxe.» Aussi surprenante soit-elle, l’offre est alléchante, quasiment immorale. En effet, en devenant reine de Saxe, Louise pourrait se venger de son beau-père, le roi, de son mari, l’héritier du trône, et de toute la cour.
Une carte de félicitations pour son 35e anniversaire: Louise est toujours aimée en Saxe.
Une carte de félicitations pour son 35e anniversaire: Louise est toujours aimée en Saxe. Gustav Schmidt Kunstverlag, Dresden
Mais après un bref temps de réflexion, elle refuse catégoriquement, arguant qu’elle ne veut pas rabaisser son ancien époux. En réalité, sa décision est sans doute aussi liée au fait qu’elle n’a rien d’une femme politique rompue à la tactique et à la stratégie, capable de diriger un royaume comme la Saxe.

Louise et Léopold

En 1902, la princesse héritière Louise et l’archiduc Léopold d’Autriche-Toscane se réfugient en Suisse. Le frère et la sœur veulent échapper au carcan de la famille Habsbourg. Ils y parviennent, mais mènent ensuite une existence de bourgeois ordinaires émaillée de scandales, avant de mourir dans la pauvreté et la solitude. 1re partie: Fuite vers la suisse 2e partie: Le scandale est rendu public 3e partie: L’archiduc devient suisse 4e partie: Léopold et les femmes 5e partie: Regensdorf contre l’archiduc Dans son livre intitulé Luise und Leopold, paru aux éditions Hier und Jetzt, Michael van Orsouw relate en détail les aventures des deux acolytes.

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