D’archiduc autrichien à citoyen suisse ordinaire... Léopold avait hâte de devenir «normal».
D’archiduc autrichien à citoyen suisse ordinaire... Léopold avait hâte de devenir «normal». Wikimedia

L’archiduc devient suisse

Après avoir fui en Suisse, l’archiduc Léopold s’y installe durablement et devient citoyen de la ville de Zoug. Sa femme, quant à elle, se divertit sur le Monte Verità, le paradis des marginaux. L’orage ne tardera pas à éclater entre les deux époux...

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw

Michael van Orsouw est docteur en histoire, poète et écrivain. Il publie régulièrement des ouvrages historiques.

Vers la fin de l’hiver 1903, les chemins de Louise et de Léopold, qui avaient fui ensemble, se séparent: la première est sur le point d’accoucher de son sixième enfant, tandis que le second et sa bien-aimée Wilhelmine descendent à Montreux. Louise prend ses quartiers à la Villa Toskana à Lindau, au bord du lac de Constance. Elle souffre et se sent emprisonnée: «J’ai enduré les plus grands des tourments», écrira-t-elle plus tard. Elle met finalement au monde une petite fille du nom d’Anna Pia Monica le 5 mai 1903. Ironie du sort, elle ne sait pas qui est le père de l’enfant: son époux Frédéric-Auguste III, futur roi de Saxe? Ou bien son amant André Giron, l’ancien professeur de langues de ses premiers enfants?
Frédéric-Auguste III est-il le père?
Frédéric-Auguste III est-il le père? Wikimedia
Ou est-ce André Giron?
Ou est-ce André Giron? Druck und Verlag C. Meissner, Leipzig
Une délégation d’experts et de personnes de confiance assistent par conséquent à l’accouchement. Un médecin et une sage-femme de Lindau, deux médecins spécialistes de Dresde ainsi qu’Alicia, la mère de Louise, venue de Salzbourg pour l’occasion. Les spécialistes de Dresde sont tenus de réaliser une expertise de l’enfant juste après sa naissance. À cette époque où les tests ADN n’existent pas encore, il faut se contenter de vérifier les caractéristiques extérieures du nouveau-né. En raison de la couleur des cheveux et de la forme du visage, les docteurs supposent que l’héritier au trône Frédéric-Auguste a la paternité. Les médecins transmettent ce résultat à Dresde, où Frédéric-Auguste III se montre soulagé. Il transmet ses félicitations par télégraphe à Lindau, et Louise se dit qu’«il n’est finalement pas fait de pierre».
Alice de Bourbon-Parme, la mère de Louise, accoure à Lindau pour se tenir aux côtés de sa fille.
Alice de Bourbon-Parme, la mère de Louise, accoure à Lindau pour se tenir aux côtés de sa fille. Wikimedia
Pendant ce temps, Léopold profite de la vie au bord du lac Léman. Il habite au majestueux Hotel Continental avec sa bien-aimée, l’ancienne prostituée Wilhelmine Adamovic, et tous deux veulent enfin se marier. Le 25 juillet 1903, ils se disent «oui» à Veyrier, au sud-ouest du lac Léman, par une journée relativement fraîche, les températures n’excédant pas les 19 degrés. En raison de la météo et des circonstances, la cérémonie est assez modeste. Elle se déroule «dans la plus grand intimité», comme l’écriront plus tard les journaux viennois. Un événement loin du «plus beau jour» de leur vie dont les mariés qualifient généralement cette journée. Wilhelmine et Léopold sont habillés simplement: elle délaisse la robe de mariée blanche typique avec voile et traîne pour une robe grise en soie discrète; lui porte un costume noir.
Léopold et Wilhelmine profitent de la vie à l’hôtel Continental à Montreux.
Léopold et Wilhelmine profitent de la vie à l’hôtel Continental à Montreux. ETH Bibliothek Zurich
À peine marié, Léopold s’attaque au projet suivant: il demande à pouvoir s’établir durablement dans le canton de Genève et souhaite vivre à Zoug. À l’époque, la petite ville de Suisse centrale n’est ni avantageuse fiscalement, ni particulièrement recherchée par la communauté internationale. Ayant voyagé en Suisse par le passé, Léopold connait bien la région. En outre, la ville de Zoug est catholique, ce qui devrait plaire à son père Ferdinand de Toscane, dont il dépend financièrement. Par ailleurs, Wilhelmine ne souhaite pas s’installer sur les rives du lac Léman puisqu’on y parle une langue qu’elle ne maîtrise pas. Très vite, Léopold et Wilhelmine Wölfling trouvent à Zoug une villa qui leur convient au bord de l’eau: la Villa Seeburg, rue Artherstrasse (aujourd’hui au numéro 38), assortie d’un jardin pareil à un parc. Léopold Wölfling et sa femme adorée s’y installent confortablement et ce dernier fait tout pour obtenir la citoyenneté suisse, avec succès. L’archiduc Léopold-Ferdinand d’Autriche-Toscane devient Léopold Wölfling, citoyen de la ville et du canton de Zoug.
Juste après leur mariage, les Wölfling emménagent dans la villa Seeburg à Zoug.
Juste après leur mariage, les Wölfling emménagent dans la villa Seeburg à Zoug. Bibliothek Zug
Il suit ensuite des séminaires à l’EPF de Zurich et étudie les données météorologiques au bord du lac de Zoug. Il est même à l’origine d’une invention: un instrument pour mesurer les orages. Wilhelmine, quant à elle, s’ennuie. Elle s’affaire dans la maison, ce qui ne lui plaît pas du tout. Même les tentatives de Léopold de l’inciter à s’instruire ne portent pas leurs fruits. Elle trouve l’écriture trop difficile, les langues étrangères lui demandent trop d’effort et elle abandonne les leçons de piano.

Fascina­tion pour la vie des marginaux sur le Monte Verità

Léopold et Wilhelmine se rendent au Tessin pour se changer les idées. Sur le Monte Verità, ils retrouvent un ancien ami officier de Léopold, qui a maintenant les cheveux ondulés, la barbe longue et une apparence peu conventionnelle. Il a adopté un mode de vie proche de la nature, mange très peu, a fait une croix sur la consommation de viande, s’habille de simples étoffes, vit sans l’aide d’un personnel et habite dans une cabane qu’il a construite lui-même.
Un groupe de marginaux danse sur le Monte Verità, vers 1910.
Un groupe de marginaux danse sur le Monte Verità, vers 1910. Fondation Monte Verità
Wilhelmine est fascinée par ce mode de vie rudimentaire. Ces personnes proches de la nature habitent dans des cabanes en glaise et pratiquent l’amour libre, suivent un régime respectueux de l’environnement, prennent des drogues artisanales, adoptent des religions alternatives fantastiques et se réunissent lors de séances mystiques et d’analyses psychologiques profondes. À cette époque, Ascona se transforme en un véritable lieu de rassemblement des réformateurs et rebelles. Wilhelmine, séduite par ce mode de vie, se rend de plus en plus souvent sur le Monte Verità. Elle se sent bien et acceptée parmi ces anarchistes, intellectuels et idéalistes. Elle a un tel engouement pour cette libération de toutes les contraintes qu’elle adopte elle-même un mode de vie naturel. Elle troque ses costumes coûteux faits sur mesure pour de simples morceaux de lin, ne se rend plus chez le coiffeur, ne coiffe plus ses cheveux, délaisse les sous-vêtements, savons et parfums, ne boit plus d’alcool et adopte un régime végétarien. Léopold change lui aussi quelques-unes de ses habitudes. Il se laisse pousser la barbe et les cheveux et arbore bientôt une crinière sauvage. Mais après quelques semaines sans savon, son odeur corporelle le répugne. Il est las de ne se nourrir que de légumes et légumineuses, la nourriture autrichienne consistante lui manque, et il ressent une aversion pour les robes de lin grossièrement cousues à la main. Le couple ne cesse de se disputer.
C’est sur le Monte Verità que Wilhelmine et Léopold prennent des chemins différents.
C’est sur le Monte Verità que Wilhelmine et Léopold prennent des chemins différents. B. J. G. phot
Pour un voyage à Florence, Leopold Wölfling se coupe les cheveux, se rase la barbe et ressort les habits qu’il portait avant. En décembre 1906, il revient complètement changé. Le mode de vie alternatif est trop excentrique pour lui; il souhaite se séparer de sa femme. Il charge alors ses avocats des démarches pour le divorce.

Louise et Léopold

En 1902, la princesse héritière Louise et l’archiduc Léopold d’Autriche-Toscane se réfugient en Suisse. Le frère et la sœur veulent échapper au carcan de la famille Habsbourg. Ils y parviennent, mais mènent ensuite une existence de bourgeois ordinaires émaillée de scandales, avant de mourir dans la pauvreté et la solitude. 1re partie: Fuite vers la suisse 2e partie: Le scandale est rendu public 3e partie: L’archiduc devient suisse 4e partie: Léopold et les femmes 5e partie: Regensdorf contre l’archiduc Dans son livre intitulé Luise und Leopold, paru aux éditions Hier und Jetzt, Michael van Orsouw relate en détail les aventures des deux acolytes.

Autres articles