Un agent de la circulation explique à des passants le fonctionnement du parcmètre. Lausanne, 1959
Un agent de la circulation explique à des passants le fonctionnement du parcmètre. Lausanne, 1959 Musée national suisse / ASL

Histoire de «Black Maria» – une redoutable videuse de poches

C’est à coup sûr lorsqu’on n’a pas de monnaie sous la main qu’il nous en réclame: le parcmètre est la hantise de l’automobiliste pressé. Pourtant, la vocation première de cet importun est des plus nobles, puisqu’il a été conçu pour dissuader les automobilistes de rester stationnés en permanence dans les rues des villes. Le premier parcmètre d’Europe a été installé à Bâle en 1952.

Thomas Weibel

Thomas Weibel

Thomas Weibel est journaliste et professeur d’ingénierie médiatique à la Haute école spécialisée des Grisons ainsi qu’à la Haute école des arts de Berne.

La demande de brevet déposée par Carlton Cole «Carl» Magee le 13 mai 1935 auprès de l’United States Patent and Trademark Office montre un appareil futuriste flanqué au sommet d’une tige, pourvu d’un bouton rotatif et d’un cadran. Avocat et journaliste, Carl Magee dirigeait également la commission des transports d’Oklahoma City. «Mon invention», écrit-il dans sa demande, «mesure la durée d’occupation d’une place de stationnement dont l’utilisation doit être facturée sur une base temporelle». Le document précise que l’appareil permet de payer un temps de stationnement en fonction de la valeur de la pièce insérée, et qu’il indique clairement l’expiration de ce délai.
Parcmètre à Long Beach, Californie, vers 1940
Parcmètre à Long Beach, Californie, vers 1940 Wikimedia
À l’époque, les commerçants d’Oklahoma City déploraient une baisse de leur chiffre d’affaires du fait que certains véhicules restaient stationnés toute la journée sur les emplacements du centre-ville. En sa qualité de politicien des transports, Carl Magee avait alors cherché à résoudre ce problème en lançant un concours d’idées auprès de l’université locale. Le concept du parcmètre ne datait pas de la veille: un brevet déposé sept ans auparavant décrivait déjà un horodateur à raccorder à la batterie du véhicule garé à l’aide d’un serre-câble. Pour des raisons évidentes, ce dispositif électrique ne vit toutefois jamais le jour.
Carlton Cole Magee, inventeur du «parking meter», 1268 YouTube
Son concours d’idées n’ayant pas abouti aux résultats escomptés, Carl Magee se tourna vers deux professeurs afin qu’ils concrétisent son idée. Une collaboration qui porta ses fruits: l’équipe élabora un appareil doté d’un mouvement mécanique dont le ressort devait être remonté par le conducteur du véhicule après l’introduction de la pièce. L’idée première de Carl Magee n’était pas de remplir les caisses de la ville, mais bien de stimuler le flux de la circulation. Il entendait décourager le stationnement permanent au centre-ville et libérer de l’espace pour de nouveaux clients.
Représentation schématique du parcmètre déposé pour brevet en 1935
Représentation schématique du parcmètre déposé pour brevet en 1935 Google Patents / U.S. Patent and Trademark Office
Les autorités en charge des brevets prirent leur temps pour traiter la demande, qu’elles ne validèrent qu’au bout de trois ans. Mais notre homme n’était pas du genre patient: deux mois seulement après avoir déposé sa demande de brevet, l’ingénieux avocat faisait installer 175 premiers parcmètres à Oklahoma City. La taxe de cinq cents requise pour une heure de stationnement souleva l’indignation des automobilistes, ce qui valut bientôt à l’appareil mal-aimé le surnom de Black Maria, expression américaine désignant habituellement un véhicule de police servant au convoi de prisonniers. Des citoyens scandalisés protestèrent contre ce «banditisme moderne», et firent passer plusieurs parcmètres sous leurs roues. Mais rien n’y fit: l’invention de Carl Magee signa la fin de la gratuité du stationnement permanent à Oklahoma City. En Europe également, un conflit d’usage commençait à se dessiner dans l’espace public. L’essor conjoncturel des années 1950 rendant la voiture accessible à une population toujours plus importante, le trafic motorisé modifiait progressivement le paysage urbain. En 1950, la Suisse comptait ainsi 147’000 voitures de tourisme immatriculées, alors qu’elles n’étaient encore que 66’000 dix ans plus tôt. La quantité de voitures garées dans les villes provoquait toujours plus de conflits.
Un agent de police et un passant devant un parcomètre. Lausanne, 1959
Un agent de police et un passant devant un parcomètre. Lausanne, 1959 Musée national suisse / ASL
La solution toute trouvée vint des États-Unis, où fin 1951, le parcmètre assurait déjà l’ordre public à plus d’un million d’emplacements. «L’idée d’un parking meter créant de meilleures conditions dans les centres-villes submergés par le trafic est plutôt séduisante», constatait Adolf Ramseyer, chef du département des transports de la ville de Bâle. Partant, il valida l’installation des premiers parcmètres sur sol européen en 1952. Deux ans plus tard, la ville allemande de Duisburg suivit le mouvement en inaugurant ses 20 premiers compteurs de stationnement. L’installation des appareils fit école, si bien qu’à la fin des années 1950, ils faisaient partie du décor des villes européennes, qui avaient depuis longtemps décelé leur potentiel comme ressource financière.
Un employé de la ville vidant un parcmètre à Seattle, dans l’État de Washington
Un employé de la ville vidant un parcmètre à Seattle, dans l’État de Washington Wikimedia / Seattle Municipal Archives
Il va sans dire que ces appareils suscitaient un certain agacement, qui inspira notamment le chansonnier bernois Mani Matter. C’est finalement le mécanisme délicat du parcmètre qui aura raison de lui, le monnayeur du dispositif étant trop capricieux et trop cher à entretenir. L’introduction de l’euro, le 1er janvier 2002, sonna le glas des horodateurs mécaniques. En effet, il n’aurait pas été rentable d’adapter ces appareils de précision, vieux de plusieurs décennies, aux nouvelles pièces de monnaie. Pionnière en la matière, la ville de Bâle abandonna pourtant elle aussi peu à peu les dispositifs mécaniques, qu’elle remplaça par des compteurs de stationnement collectifs électroniques à partir de 2007. Les derniers parcmètres bâlois inspirés du légendaire Black Maria furent démontés en 2011.

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