
De «Uitoduro» à «Winti»: les toponymes dans tous leurs états
Depuis leur création il y a plusieurs siècles, les toponymes n’ont cessé d’évoluer: de simples descriptions du paysage ou du partage des terres, ils se sont transformés en abréviations issues du langage des jeunes, à l’instar de «Uitoduro», devenu «Winterthour» puis «Winti».
Winterthour constitue un bel exemple de l’évolution d’un toponyme. Vitudurum, agglomération romaine (vicus en latin) et castrum, serait à l’origine de la deuxième plus grande ville du canton de Zurich. Celle-ci se situait à l’emplacement de l’actuel quartier d’Oberwinterthur, sur l’importante route reliant le lac Léman au lac de Constance. Selon les analyses dendrochronologiques réalisées sur des constructions romaines en bois, sa création remonterait à la première décennie av. J.-C.
Winterthour, la porte du saule
La forme latinisée Vitudurum dérive de la forme celtique *Uitódurō, composée de uito- «saule; éventuellement le nom d’une personne» et de la terminaison -durōn «porte, portail». *Uitódurō, et par extension Winterthour, signifierait donc «porte du saule, cour du saule, clôture en osier tressé», ou peut-être «marché d’Uito».
Romanisation des toponymes celtes
Avec l’intégration de la Suisse actuelle dans l’Empire romain au tournant de notre ère et le changement rapide de la langue courante du celte au latin qui en a résulté, les toponymes celtes ont été romanisés (Salódŭrōn > Salodurum, Dūnon > Tunum, Eburodūnon > Eburodunum, Turīcon > Turicum).
Nouvelles fondations celto-romaines
Les formes mixtes celtico-latines sont toutefois bien plus communes que les toponymes purement latins, comme ceux en -ach(t): Bettlach (Bâche), Alpnach, Küsnacht, etc. La première partie du mot contient toujours le nom d’une personne en latin et la deuxième partie la terminaison celtique du toponyme -akos, latinisée -acum. Ces formes mixtes reflètent les réalités linguistiques de la société celte romanisée de la région alpine au sens large.

Nouveau changement de langue
C’est ainsi que se sont formés, au fil des siècles, les toponymes suisses alémaniques que l’on connaît aujourd’hui. Ce changement de langue ne s’est bien sûr pas produit dans les régions romanes du pays, où les toponymes ont continué à se développer dans les langues et dialectes romans locaux.
Pourquoi «Winter» et «Thur»?
Dans le cas de Winterthour, la forme alémanique Wintarduro est déjà attestée vers 856. Le préfixe Vitu- n’étant plus compris, il se transforme dans l’usage populaire en wintar, mot alémanique signifiant «Winter» (hiver). Plus tard, la deuxième partie du mot se voit également modifiée et calquée sur la rivière Thur (qui ne traverse pas Winterthour).
D’autres toponymes se sont également transformés en raison de l’usage populaire, à l’instar de Weinfelden (ne fait pas référence au vin, mais au prénom alémanique Wino) ou Herzogenbuchsee/Münchenbuchsee (ne renvoient pas à des hêtres ou à des lacs, mais proviennent du latin *ad buxa qui signifie «près des buis»).
Formes courtes et abrégées issues du langage des jeunes
Il est possible que ces formes courtes soient apparues dans le langage des jeunes et qu’elles se soient imposées par la suite comme des diminutifs. La formation de diminutifs en -i a probablement été transférée des noms génériques en allemand (Badanstalt > Badi pour piscine, Gymnasium > Gymi pour lycée, etc.) aux toponymes.
Les diminutifs de toponymes ne se terminent pas toujours par un -i: certains sont abrégés en conservant la première ou les deux premières syllabes (Wünnewil > Wüne, Neuchâtel > Neuch). Certains diminutifs, par leur créativité, sont particulièrement amusants: Wollyhood pour Wollishofen, Ämmebronx pour Emmenbrücke ou encore Chnoflige pour Konolfingen.
Tant que des langues seront parlées en Suisse, les toponymes poursuivront leur évolution.


