Alchimiste des saveurs
Le 8 juin 1886, Julius Maggi crée le célèbre Arôme éponyme. Grâce entre autres à des stratégies publicitaires novatrices, son produit, et partant son nom, sont passés à la postérité.
Julius Maggi est un grand perfectionniste. Né 1846 à Frauenfeld, ce fils d’un immigré italien et d’une jeune femme de la bourgeoisie zurichoise multiplie les expériences sur de nouveaux aliments dans son laboratoire culinaire. Il a également à cœur de lutter contre la malnutrition de la classe ouvrière à l’aide de denrées à la fois nourrissantes et bon marché.
En 1869, il reprend le moulin à marteaux paternel à Kemptthal, mais la crise qui touche le secteur de la minoterie l’oblige très rapidement à mettre au point de nouvelles formes d’aliments. La farine n’ayant pas de secret pour lui, le meunier essaie dans un premier temps de mettre au point une farine de légumineuses, à base de haricots et de petits pois notamment, qui se transforme en soupe une fois délayée dans de l’eau. Cette ingénieuse préparation ne rencontre toutefois qu’un faible intérêt auprès du public cible, les ouvriers d’usine.
Julius Maggi se remet donc au travail et le 8 juin 1886, son célèbre condiment liquide destiné à agrémenter les potages voit le jour. Ce produit jouera un rôle décisif dans la réussite de la société à l’échelle internationale. Craignant d’être victime d’espionnage industriel, le Suisse garde jalousement la recette de sa création. Mais cette peur est aussi à l’origine des avancées sociales dont bénéficient les salariés de l’entreprise Maggi. En effet, après que la société Knorr a tenté en 1893 de débaucher les ouvriers de Maggi dans le but de s’emparer du secret de leur patron, ce dernier décide en 1895 d’offrir divers avantages à ses employés. Il met notamment en place une caisse de maladie et de prévoyance propre à l’entreprise, construit des logements et crée une coopérative de consommation permettant d’acquérir des denrées alimentaires bon marché.
Nouveauté absolue, le condiment inventé en 1886 demeure le monopole de Maggi jusqu’en 1907. Consciente qu’elle ne conserverait pas cette position indéfiniment, l’entreprise lance une deuxième innovation: le bouillon cube. Julius Maggi est un passionné: ses recherches donnent sans cesse naissance à des créations inédites et à des produits au succès commercial fulgurant, même si son énergie débordante et sa soif d’expérimentation se voient parfois freiner par le conseil d’administration.
Pionnier de la publicité
Grâce à son esprit pionnier et à sa volonté d’innover, Julius Maggi se démarque également dans un autre domaine: la publicité. Il développe une manière inédite de promouvoir ses produits. Il est l’un des premiers à créer au sein de son entreprise une division dédiée à ces activités et expérimente de nouvelles formes de réclame, telles que des affiches, des pancartes, des systèmes de cumul de points avec primes à la clé, des cartes à collectionner ou encore des dégustations. Fin 1886, Julius Maggi embauche comme rédacteur publicitaire le poète, encore inconnu, Frank Wedekind et lui attribue la mission suivante: mieux faire connaître au public les soupes Maggi par le biais de petites histoires et de poèmes. En voici un exemple:
Cher père, ô mon papa!
Non, je ne serai pas soldat
Tant que l’infanterie
N’aura pas de potage Maggi.
Mon fils, mon cher fiston!
Rejoins sans crainte la troupe
Car il y a déjà longtemps
Qu’on mange de Maggi
Les conserves de viande dans la soupe
L’auteur ne reste que huit mois au sein de la société, car, comme il l’explique à sa mère dans une lettre, il a l’impression «de s’être vendu corps et âme [à Maggi]». Le recueil des manuscrits originaux des textes publicitaires Maggi écrits par Frank Wedekind est actuellement conservé à la bibliothèque cantonale d’Argovie (en allemand).