
Controverse artistique de Zurich: Ferdinand Hodler et le Musée national
En 1900, l’artiste suisse Ferdinand Hodler créa trois fresques pour la salle d’honneur du Musée national à Zurich. Ignorant les souhaits de son donneur d’ouvrage, le peintre déclencha une controverse nationale avec la composition picturale de sa «Retraite de Marignan».
Les premières œuvres d’Hodler, dans les années 1870 à 1880, mêlent différentes peintures de genre, principalement des paysages et des portraits de style réaliste. À Genève, les critiques d’art les jugeaient inintéressantes, et presque tous les tableaux que le peintre présenta au Salon de Paris y furent ignorés. C’est finalement La Nuit (1889-1890) qui lui apporta la reconnaissance tant espérée après des années à se sentir incompris. L’œuvre dépeint une mystérieuse figure drapée de noir entourée de sept personnes endormies, parmi lesquelles Hodler lui-même, sa femme Bertha Stucki et sa maîtresse Augustine Dupin. Pessimiste et morose, La Nuit est aussi un tableau chargé de sens, saturé de palettes chromatiques contrastées. Si le président de Genève jugea l’œuvre d’Hodler étrange au point d’ordonner son retrait de l’Exposition municipale pour raisons morales, elle fut en revanche plébiscitée par le public du Salon du Champ-de-Mars de Paris. Des artistes français à l’avant-garde de l’époque, tels qu’Auguste Rodin, Edgar Degas ou Pierre Puvis de Chavannes adressèrent au peintre leurs compliments. La Nuit marqua ainsi le passage tout en provocation d’Hodler au symbolisme et au Jugendstil, culminant dans l’élaboration d’un style de composition très personnel qu’il qualifiait lui-même de «parallélisme». Son approche novatrice de la peinture mettait l’accent sur les puissances complémentaires du rythme et de la symétrie, base selon lui de la société humaine.

La couleur et la forme existent simultanément. Ces deux éléments sont constamment liés, mais certaines couleurs se remarquent davantage, comme une certaine tonalité de rose, pour dépeindre parfois aussi le corps humain.
La «controverse des fresques»


Mes tableaux de Marignan représentent le peuple suisse dans ce qu’il a de caractéristique, elles montrent son héroïsme, sa force, son endurance et la fraternité de nos guerriers frappés par le malheur.
Un joyau culturel suisse
En bas à droite de La Retraite de Marignan, on distingue un hallebardier couvert de sang qui se tient à l’écart pour protéger la retraite des porte-drapeaux épuisés et des soldats blessés contre l’armée française en approche. (Dans les journaux suisses, Hodler désignera plus tard ce personnage du nom de «Bluthodler», «Hodler sanglant».) À gauche de ce hallebardier, un guerrier muni d’une hache est en train de se retourner, comme s’il voulait répondre au regard du spectateur. Au centre, un guerrier stoïque, hallebarde sur l’épaule, se distingue des autres par sa tenue de combat rouge. C’est l’incarnation de la bataille de Marignan. Tout à gauche de l’image, un autre soldat s’éloigne, la pointe de l’épée tachée de sang. Hodler lui a donné ses traits, signifiant par là que la défaite de Marignan reste sensible pour tous les Suisses et Suissesses, par delà le temps et l’espace. Deux fresques plus modestes complètent l’œuvre principale. Malgré ses jambes brisées, le célèbre porte-étendard bâlois Hans Baer le Jeune, à l’agonie dans une mare formée par son propre sang, trouve encore la force de brandir la bannière du canton. Sur une autre fresque, les deux mains sur l’épée et une expression de terrible détermination sur le visage, un soldat couvre la retraite de l’armée. Des graines de pissenlit à aigrettes flottent dans la partie supérieure de la fresque, symbolisant sans doute que toute fin s’accompagne d’un renouveau. La valeur de la paix n’apparaît pleinement qu’à celui qui a connu les affres de la guerre.


