L’ouvrage De revolutionibus orbium coelestium de Copernic a agité les milieux ecclésiastiques.
L’ouvrage De revolutionibus orbium coelestium de Copernic a agité les milieux ecclésiastiques. Wikimedia

Copernic l’hérétique

Nicolas Copernic est considéré comme l’un des pères de l’astronomie moderne. Son modèle planétaire héliocentrique suscita l’indignation dans les cercles des réformateurs, en particulier en Suisse.

Thomas Weibel

Thomas Weibel

Thomas Weibel est journaliste et professeur d’ingénierie médiatique à la Haute école spécialisée des Grisons ainsi qu’à la Haute école des arts de Berne.

Le Polonais Nicolas Copernic (1473–1543), de son vrai nom Niklas Koppernigk, était un scientifique au sens large du terme: il avait étudié les sept arts libéraux – la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie – puis s’était intéressé au droit, au grec, à la philosophie et enfin à la médecine. Bien qu’il travaillât en tant que médecin, chanoine de l’évêché et administrateur dans la ville côtière de Frauenburg (aujourd’hui Frombork, dans le nord de la Pologne), il était surtout passionné par les mathématiques, l’astronomie et l’étude des mouvements des planètes. La nuit, il observait avec de simples outils le ciel étoilé, avec plus ou moins de succès: à sa grande déception, il ne réussit jamais à observer Mercure («à cause de la brume»), la planète la plus à l’intérieur du système solaire, et échoua à déterminer sa position.
Copernic observe le ciel à Rome.
Copernic observe le ciel à Rome. ETH Bibliothek Zurich
Les observations de Copernic éveillèrent en lui de plus en plus de doutes quant à la représentation de la composition du système solaire qui dominait à l’époque. On savait depuis près de deux millénaires que le mouvement circulaire du soleil et des planètes autour de la Terre, dont Aristote avait avancé le postulat au IVe siècle avant J.-C., ne pouvait être tout à fait juste: en effet, si l’on suivait par exemple l’orbite de Mars dans le ciel étoilé, on pouvait remarquer que sa trajectoire ralentissait à intervalles réguliers et finissait même par s’inverser. Il faut attendre 72 jours pour revoir la planète se déplacer d’est en ouest, comme d’ordinaire. Aucune trace, donc, d’un mouvement uniforme. Dans l’Antiquité, les astronomes justifiaient certes dans une certaine mesure cette contradiction manifeste par ladite théorie des épicycles, mais plus les observations devenaient précises, plus elles venaient mettre en lumière des inexactitudes.
Animation du modèle des planètes de Copernic issue de De revolutionibus orbium coelestium. Vous trouverez plus d’informations sur l’animation sur la page: thomasweibel.ch
Il parut clair à Copernic qu’il fallait établir un tout nouveau modèle planétaire, modèle qu’il résuma en 1543 dans son livre De revolutionibus orbium coelestium («Des révolutions des sphères célestes»). Pour la première fois de l’Histoire, le soleil était placé au centre du système. Tout comme le reste des planètes connues Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, Copernic fit tourner la Terre autour du soleil, elle qui avait été considérée pendant deux millénaires comme un point fixe dans toutes les conceptions de l’astronomie. Ses ouvrages De revolutionibus incarnaient une véritable révolution scientifique; seule la Réforme condamna son œuvre, la qualifiant de chimère, voire d’hérésie. C’est en Suisse que l’indignation fut la plus forte.
Manuscrit de De revolutionibus orbium coelestium.
Manuscrit de De revolutionibus orbium coelestium. Le soleil se trouve au centre du système des planètes, et Mercure, Vénus, la Terre et la lune, Mars, Jupiter et Saturne tournent autour de lui. Wikimedia
Ce qui est étonnant, puisque l’influent réformateur Ulrich Zwingli (1484–1531) avait fondé l’école supérieure en 1525 et se sentait, en tant qu’érudit, l’obligé de la science. Il utilisait manifestement les observations scientifiques, en particulier l’astronomie, à des fins pratiques et prêchait que les astres existaient pour «séparer le jour de la nuit, étaient des signes et indiquaient le temps, et surtout servaient à favoriser une croissance fertile et à exploiter les signes et le temps à notre avantage, par exemple pour cultiver un champ, récolter et faner». Malgré cela, la science se limitait pour Zwingli à l’admiration des merveilles de la nature; l’art «véritable et juste de l’astronomie» de même que «l’estimation et l’orbite des astres» étaient pour lui avant tout l’expression de l’action divine. «Car de même que les astres sont un moyen et un outil par lesquels Dieu montre sa puissance, la connaissance de leur trajectoire et de leur disposition n’est rien d’autre que la connaissance de l’action divine.»
Portrait d'Huldryich Zwingli.
La science, oui, mais seulement dans une certaine mesure pratique, estimait Zwingli. Musée national suisse
L’astronomie comme moyen de reconnaître la création divine, l’écriture divine comme base de toute science: les écrits de Copernic étaient de nature à ébranler la réforme jusque dans ses fondements. Le psaume 93 place en effet la Terre de manière immuable au centre de l’univers («C’est pourquoi la terre est ferme, elle ne peut vaciller»), et d’après le psaume 19, il ne fait aucun doute que le soleil tourne autour de la Terre («Il se lève à une extrémité des cieux, Et achève sa course à l’autre extrémité»). Philipp Melanchthon, condisciple de Martin Luther et sévère critique de Copernic, se laissa aller à un véritable discours incendiaire en 1549. «Mais ici, certains soit par amour de la nouveauté, soit pour faire montre de leur esprit, ont soutenu que la Terre était mue, et ils affirment que ni la huitième sphère , ni le Soleil ne sont mus... Soutenir des opinions ouvertement absurdes , n’est pas convenable et nuit par son exemple. Il appartient à tout bon chrétien d’embrasser avec respect la vérité montrée par Dieu et de se reposer en elle.» À Genève, Jean Calvin alla encore plus loin: «Nous en verrons d’aucuns si frénétiques (...) pour montrer par tout qu’ils ont une nature monstrueuse, qu’ils diront que le soleil ne se bouge et que c’est la terre qui se remue et qu’elle tourne.» Il y avait peu de doute quant à la personne ciblée par les propos de Calvin: «Qui s’aventurerait à placer l’autorité de Copernic au-dessus de celle du Saint-Esprit ?».
Portrait de Nicolaus Copernicus, 17e siècle.
Copernic avait de nombreux ennemis. Notamment... Wikimedia
Portrait de Jean Calvin.
... Jean Calvin, qui le qualifiait de fou. Musée national suisse
Il avait toujours été clair pour Copernic, qui avait lui-même été toute sa vie au service de l’Église, qu’il ne se ferait pas d’amis dans le cercle des exégètes. Afin de devancer le torrent de protestations auquel il s’attendait, il dédia l’œuvre De Revolutionibus au pape Paul III, notamment en ces termes: «Si cependant il se trouvait des adeptes de matéologie qui, bien qu’ignorant tout des mathématiques, se permettaient néanmoins de juger de ces choses et, à cause de quelque passage de l’Écriture [sainte], malignement détourné de son sens, osaient blâmer et attaquer mon ouvrage; de ceux-là je ne me soucie aucunement, et ceci jusqu’à mépriser leur jugement comme téméraire.» Dans le cas du pape, les craintes de Copernic ne se confirmèrent guère: en 1582, la réforme du calendrier grégorien se fonda sur ses calculs. Mais comme le flux d’écrits protestataires ne diminuait pas, Rome commença à céder et créa la «congrégation pour l’index des livres interdits». Finalement, lorsque le savant et astronome Galilée fit référence au modèle copernicien dans le cadre de son conflit avec l’Église, l’Inquisition ouvrit une procédure qui se solda par l’interdiction de l’œuvre De Revolutionibus. Cependant, le verdict fut prononcé sans conviction, car le modèle de Copernic avait résolu d’un seul coup nombre de problèmes astronomiques et mathématiques existant jusqu’alors. Grâce à une série d’infimes changements faisant ressortir le caractère hypothétique de l’œuvre révolutionnaire de Copernic, celle-ci put finalement être imprimée et lue.
Le pape Paul III, portrait du Titien, 1546.
Le pape Paul III, portrait du Titien, 1546. Wikimedia
Le soleil au centre du système, et la Terre, une planète parmi les autres: les observations et les calculs d’astronomes tels que Galilée, Tycho Brahe et Johannes Kepler permirent de montrer avec davantage de précision au cours des décennies qui suivirent que la Bible ne pouvait servir à expliquer les découvertes scientifiques. Genève, qui fut probablement le berceau de la résistance la plus féroce contre le modèle copernicien, accueillit en 1771 le premier observatoire de Suisse. Copernic ne vit cependant jamais l’énorme influence de ses découvertes sur la science et la conception du monde: il mourut d’une crise cardiaque à Frauenburg, le 25 mai 1543, peu de temps après la parution des ouvrages De Revolutionibus.

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