Michel Schüppach dans son apothicairerie à Langnau im Emmental. Gravure réalisée vers 1775.
Michel Schüppach dans son apothicairerie à Langnau im Emmental. Gravure réalisée vers 1775. Musée national suisse

Le médecin emmenta­lois qui faisait des miracles

C’est grâce à ses méthodes parfois peu conventionnelles que Michel Schüppach s’est fait connaître au XVIIIe siècle comme médecin faiseur de miracles et docteur des montagnes bien au-delà des frontières de l’Emmental.

Katrin Brunner

Katrin Brunner

Katrin Brunner est une journaliste indépendante, spécialisée dans l'histoire et chroniqueuse de Niederweningen.

Le poète Johann Wolfgang von Goethe et son compagnon le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar-Eisenach furent très étonnés lorsque, le 17 octobre 1779, ils se retrouvèrent face au «... très étrange et très gros...» Michel, aussi appelé Michael, Schüppach. Ils s’étaient fait une autre image du célèbre docteur faiseur de miracles. Par-dessus le marché, l’homme était de mauvaise humeur ce jour-là. Il souffrait de problèmes digestifs et Marie Flückiger, son épouse, était absente. En effet, c’est elle également qui aidait le «médecin des montagnes» et lui servait d’interprète quand des malades francophones venaient en consultation.
Portrait de Marie Flückiger, 1774.
C’est parce que sa femme Marie Flückiger était absente... Musée national suisse
Portrait de Johann Wolfgang von Goethe, vers 1900.
... que Johann Wolfgang von Goethe fit la rencontre d’un médecin, faiseur de miracles, mal luné. Wikimédia / National Library of Wales
L’aîné de sept enfants, Michel Schüppach voit le jour en 1707 à Biglen (BE). Il quitte l’école à 16 ans et commence un apprentissage de barbier chirurgien. À l’époque, ce métier englobait aussi, outre les soins capillaires, l’acquisition de connaissances médicales relevant de la chirurgie. Le jeune Michel se montre alors si habile avec les patientes et patients qu’à 20 ans à peine il reprend le salon de barbier d’Hans Fuhrer à Langnau im Emmental.

Barbier chirur­gien

Au Moyen-Âge déjà, la formation médicale faisait partie du métier de barbier chirurgien qui, en plus de soigner la barbe et les cheveux ainsi que de prodiguer d’autres soins corporels, traitait également blessures et maladies. Les services des chirurgiens de campagne, en particulier, étaient si demandés qu’ils étaient souvent et volontiers admis au sein de l’armée. La qualité de la formation variait néanmoins en fonction des connaissances des maîtres d’apprentissage, mais aussi du talent et de l’ambition des élèves.

À mi-chemin entre chimie et médecine naturelle

Toutefois, l’intérêt de Schüppach dépassait de loin ce qu’il avait appris jusque-là. Il était très observateur. Goethe le décrit comme scrutant ses visiteurs de ses «... yeux clairs et perçants...», plongeant presque au plus profond de leur âme. Partisan de la théorie des humeurs, déjà contestée à l’époque hors de l’Emmental, il avait pourtant du succès avec ses diagnostics. En regardant l’urine et en examinant les malades, il parvenait souvent à trouver le traitement adéquat. L’Emmentalois a continué d’apprendre toute sa vie durant. Il s’y connaissait aussi bien en médecine naturelle qu’en chimie. Il préparait lui-même la plupart de ses alcoolatures et sirops médicinaux et leur donnait parfois des noms étranges comme «Blüemliherz» (cœur de fleur), «Freudenöl» (huile de joie) ou «liebreicher Himmelstau» (manne délicieuse). Michel Schüppach tenait également un journal méticuleux sur ses patientes et patients et leurs maux tout comme sur les traitements qu’il administrait et les médicaments qu’il prescrivait.
Portrait de Michel Schüppach, en 1774.
Portrait de Michel Schüppach, en 1774. Musée national suisse

Pionnier du tourisme

Goethe n’était pas réellement malade lorsqu’il s’arrêta à Langnau lors de son voyage en Suisse, il était simplement curieux. Et c’est pour les mêmes raisons que d’autres personnes intéressées et de prétendus malades se retrouvèrent aussi dans l’Emmental. Parmi les illustres invités de Schüppach figuraient Johann Caspar Lavater, pasteur, philosophe et physiognomoniste (aujourd’hui controversé), l’écrivain voyageur César de Saussure, le mathématicien et physicien Samuel Rudolf Jeanneret de Grandson ou encore Rosine König von Wyttenbach, dont Michel Schüppach ne parvint toutefois pas à soigner le diabète. Cependant, tout le monde n’admirait pas le «faiseur de miracles» de l’Emmental, bien au contraire. L’un de ses plus grands détracteurs était Albrecht von Haller (1708-1777), médecin et naturaliste bernois de renom. Sans jamais avoir rencontré Schüppach, il qualifiait le praticien de Langnau de «camelot» et fondait avant tout ses opinions sur les rapports de Jakob Köchlin. Ce dernier, également médecin, était originaire d’Alsace et avait rendu visite à Schüppach, le «paysan de Langnau», en 1775. Toutes ces critiques n’ont toutefois en rien entaché la popularité du médecin des montagnes. Lors des plus fortes affluences, il recevait entre 80 et 90 patientes et patients dans son petit cabinet. Souvent, ses hôtes restaient une nuit ou même plusieurs jours. En 1733, Schüppach acheta l’Auberge Bären à Langnau pour pouvoir y travailler et offrir en même temps un hébergement. En 1739, il fit construire son établissement de cure, ainsi qu’une maison et un laboratoire. Schüppach s’était créé un petit empire et, en passant, avait ainsi marqué le début du tourisme dans la région de Langnau.
Le royaume de Michel Schüppach sur une gravure des années 1770: la résidence du docteur (1), la maison d’hôtes (2) et le laboratoire (3).
Le royaume de Michel Schüppach sur une gravure des années 1770: la résidence du docteur (1), la maison d’hôtes (2) et le laboratoire (3). Musée national suisse
Michel Schüppach compensait ses éventuelles lacunes en matière de formation médicale par sa connaissance des êtres humains. Son sens de la psychologie était en effet très développé. Il était également très ouvert aux nouvelles méthodes de traitement. Le médecin avait par exemple fait l’acquisition d’un appareil d’électrothérapie. Cette machine, révolutionnaire pour l’époque, était censée guérir les personnes prétendument possédées par le diable en leur envoyant des décharges électriques ciblées. Malheureusement, on ne sait pas si cette méthode fut réellement efficace pour l’Emmentalois. Malgré ses nombreux succès médicaux, le «faiseur de miracles» de l’Emmental était un enfant de son temps et se montrait, à l’instar d’une grande partie de sa clientèle locale, très attaché aux superstitions. Son cabinet de Langnau renfermait notamment les médicaments qui vont de pair avec une telle vision de la médecine, comme de la poudre de pierres précieuses, des araignées, des crapauds ou même la corne d’une «licorne» (dent de narval).
Appareil d’électrothérapie à actionnement manuel de Michel Schüppach.
Appareil d’électrothérapie à actionnement manuel de Michel Schüppach. Image mise à disposition
Représentation d’un narval (au premier plan) dans un manuel scolaire de biologie de Grande-Bretagne, en 1889.
Représentation d’un narval (au premier plan) dans un manuel scolaire de biologie de Grande-Bretagne, en 1889. Wikimédia
Les affaires marchaient bien, comme le prouvent les inscriptions dans le registre de prescriptions de Michel Schüppach. Ses patientes et patients venaient parfois de loin pour le consulter. C’est grâce à eux que la famille du médecin pouvait vivre confortablement et que Langnau prit des allures de cité cosmopolite. Certains de ses confrères voyaient toutefois ses réussites d’un œil soupçonneux. Michel Schüppach traitait et opérait des personnes sans avoir passé de maîtrise. Il formait également des apprentis et apporta son aide à l’enquête sur le meurtre de Hans Heimberger, retrouvé battu à mort dans une petite grange à Trub en 1754. Ce n’est qu’après deux rappels à l’ordre qu’il obtint en 1746 la maîtrise de la Bernische Chirurgische Societät et put désormais porter le titre de «Medicinae et Chirurgiae Practico». Michel Schüppach ne semble pas avoir lui-même beaucoup suivi les conseils médicaux qu’il donnait à sa clientèle. Ainsi, les images contemporaines et les descriptions de ses hôtes le dépeignent comme un homme plutôt obèse et flegmatique, qui recevait généralement les malades, assis dans son fauteuil. Il mourut d’une attaque cérébrale à l’âge de 74 ans et tomba ensuite dans l’oubli pendant longtemps.

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