Remparts et tourelles protègent les villes médiévales dont les rangées de maisons mitoyennes bordent ruelles et places à l’atmosphère particulière. Comme ici, à Willisau photographiée avant 2013.
Remparts et tourelles protègent les villes médiévales dont les rangées de maisons mitoyennes bordent ruelles et places à l’atmosphère particulière. Comme ici, à Willisau photographiée avant 2013. Stadtarchiv Willisau, Bruno Bieri

Willisau – une petite ville au grand patrimoine historique

Les petites villes constituent de véritables concentrés de culture, riches en jalons historiques. Willisau ne fait pas exception à la règle. Exposant fièrement les éléments de sa biographie, la bourgade possède de nombreuses particularités aussi instructives qu’attrayantes.

Kurt Messmer

Kurt Messmer

Kurt Messmer (1946-2025) a travaillé comme historien spécialisé dans l’histoire au sein de l’espace public.

Si l’histoire d’une ville suit une chronologie, sa découverte dépend d’un itinéraire. Le nôtre mélangera les dates et les sujets. Il en résultera un aperçu aux facettes et enseignements certes multiples mais qui ne sauraient toutefois éclipser d’intéressantes questions encore en suspens. Bienvenue à Willisau, chef-lieu et cœur de l’arrière-pays lucernois.

La porte inférieure… peut en cacher une autre

On entre dans Willisau comme dans un livre d’images en traversant une superbe porte surmontée d’une horloge monumentale dont les heures dorées se détachent sur un cadran rouge et noir. Mais attention: la générosité de cette ouverture n’est-elle pas exagérée? Les chargements des charrettes du Moyen Âge atteignaient-ils pareille altitude? À y regarder de plus près, on note que cette porte date de 1980, qu’elle a été construite en béton armé et que son ouverture est suffisante pour laisser passer véhicules de la police du feu et autocars à deux étages.
Willisau, porte inférieure, construite en 1980. Vue de la gare vers la vieille ville.
Willisau, porte inférieure, construite en 1980. Vue de la gare vers la vieille ville. Kurt Messmer
Mentionnée pour la première fois en 1347, la porte inférieure de Willisau est détruite par un incendie en 1471. Après sa reconstruction, elle est à nouveau incendiée en 1704 et reconstruite une fois encore. On la détruira en 1854 et elle ne réapparaîtra qu’en 1980, reproduite sur la base d’une ancienne illustration. Un tel destin architectural nous place devant un dilemme. Si la destruction d’un bâtiment du passé laisse un vide, ce dernier est aussi un symbole rappelant le désenclavement des villes et l’avènement de l’égalité ville-campagne au XIXe siècle. Cela devrait donc inciter à conserver ce vide au lieu de le combler par un nouveau bâtiment, comme on l’a souvent fait dans les années 1970. Cela étant, il faut aussi veiller à ne pas exagérer le poids historique d’une telle lacune. Ici, la copie a été réalisée 126 ans après la disparition de l’original. La porte actuelle vous fait penser à un décor de cinéma? S’agit-il de la version 1347, 1471 ou 1704? - Veuillez cocher l'affirmation qui convient.
Willisau vue d’avion en 1962. On remarque le vide au bas de la photo. C’est là que fut reconstruite la porte inférieure en 1980.
Willisau vue d’avion en 1962. On remarque le vide au bas de la photo. C’est là que fut reconstruite la porte inférieure en 1980. ETH-Bibliothek Zürich, Werner Friedli

L’ancien hôpital – ombre et lumière

Une ville digne de ce nom possède un hôpital. Depuis la fondation de Willisau, personnes âgées et malades, mères célibataires et orphelins, handicapés physiques et psychiques ont trouvé ici gîte, couvert et soins médicaux. Temporaire à ses débuts, cette aide sera ensuite dispensée à plus long terme. Les pèlerins trouvaient aussi un abri et un viatique à l’ancien hôpital de Willisau.
L’ancien hôpital de Willisau, vu de l’extérieur.
L’ancien hôpital de Willisau, vu de l’extérieur. Les galeries en façade remontent à la fin du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, le règlement de construction les impose dans certains cas. Il existe néanmoins une grande liberté de formes, matériaux et couleurs, comme on le constate notamment dans la Schaalgasse, une ruelle qui vaut le détour. Kurt Messmer
En 1861, les sœurs de charité de la Sainte-Croix d’Ingenbohl prennent en charge les nécessiteux. Elles appliquent les méthodes médicales les plus récentes de l’époque. Il n’était pas rare qu’elles installent les lits à l’extérieur, sur de nouvelles galeries élargies à cet effet, l’air frais ainsi que la lumière étant propices à la guérison. Mais l’obscurité n’est jamais très loin. Élaboré en 1903, le règlement intérieur de l’«hospice des pauvres» interdit strictement à ses résidents «la fréquentation des établissements publics et cafés ou toute autre maison privée à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville, sous peine d’une mise au cachot au pain et à l’eau pendant un à trois jours.» Le même règlement comprend aussi toute une liste d’autres sanctions. Cette incarcération dans de sombres cachots en bois est peut-être à l’origine de l’expression «se faire mettre à l’ombre».
Ancien hôpital de Willisau, cachot du XIXe siècle
Ancien hôpital de Willisau, cachot du XIXe siècle équipé d’un premier guichet coulissant pour le passage de la nourriture (au milieu) et d’un second pour la vidange du pot de chambre (en bas). On mettait aussi au cachot les malades qu’aucun médicament ne parvenait à calmer. Kantonale Denkmalpflege Luzern, Fotohaus Schaller, Willisau
Le monde est-il devenu meilleur depuis 1903, époque de l’«hospice des pauvres»? Il y a en tout cas un monde de différence dans ce que l’on y trouve désormais, à savoir une ludothèque et des jouets pour les enfants sur les galeries.

Des inconvé­nients de l’élevage du petit bétail dans une bourgade campagnarde

Le caractère campagnard de la petite ville se révèle à quelques mètres de l’ancien hôpital. À l’arrière des maisons de la Kirchgasse, de grandes portes en bois au rez-de-chaussée signalent les étables où l’on parquait le petit bétail.
Willisau, Schlossrain. Ces portes d’étables témoignent du passé agricole de la ville.
Willisau, Schlossrain. Ces portes d’étables témoignent du passé agricole de la ville. Kurt Messmer
Il n’y a pas si longtemps, une autarcie relative permettait encore à de nombreux habitants de joindre les deux bouts. Le travail du jardin procurait légumes, fruits et baies. Basse-cour et petit bétail assuraient l’approvisionnement en œufs, viande, lait, laine et cuir. Certaines étables du Schlossrain ont abrité du petit bétail jusque dans les années 1950. Quiconque voulait jouer un tour pendable en ouvrait la porte, si possible pendant la messe dominicale, dont le terme marquait alors le début d’une chasse aux animaux dans toute la vieille ville.

L’hôtel de ville – autrefois marché, puis théâtre

La ville du Moyen Âge était essentiellement un marché fortifié. Halles et boucherie en étaient le centre. À l’origine, le marché de Willisau avait lieu sur la place de l’église. Il déménagera en 1720 dans un nouveau bâtiment situé vers le milieu de la rue principale.
Ancienne maison des halles de Willisau
Ancienne maison des halles de Willisau. Le terme d’hôtel de ville s’est imposé progressivement depuis 1912 lorsque son premier étage fut mis à la disposition de l’assemblée communale. La décoration Jugendstil sur la façade date de la même époque. Le rez-de-chaussée, en revanche, servait encore d’abattoir dans les années 1950. Il est aujourd’hui dédié à la culture. Kurt Messmer
La fonction commerciale des halles est codifiée en fonction de l’étage où se trouvent les marchands. À Willisau, le rez-de-chaussée était occupé par la boucherie. Le premier étage abritait tissus et grains, ainsi que les marchés hebdomadaires et annuels. Aujourd’hui encore, l’aune de Willisau à côté de l’entrée rappelle le commerce local de la draperie. À Sursee, non loin de Willisau, un bâtiment identique servait d’entrepôt. On y trouve encore une balance à ancre et une halle aux tissus. À Sempach, la boucherie côtoyait la halle aux tissus. À Lucerne, le rez-de-chaussée de l’hôtel de ville accueille aujourd’hui encore un marché et l’étage au-dessus a conservé son nom de halle aux grains. Dans de nombreux endroits, les marchés couverts sont aussi utilisés pour la danse et le théâtre. Scènes et auditoriums fixes sont plutôt rares dans les anciennes halles, d’autant plus lorsque leur esthétique est aussi réussie.
Théâtre de l’hôtel de ville à Willisau.
Théâtre de l’hôtel de ville à Willisau. La fondation de la Société des amis de la musique et du théâtre date de 1804. En 1811, le conseil communal autorise la création d’un théâtre au deuxième étage de la maison des halles. En 1991, une rénovation générale du bâtiment entraînera le déplacement du théâtre dans les combles. Stadtarchiv Willisau, Bruno Bieri
En 1798, l’invasion de la Suisse par la France confère aux anciens sujets le statut auparavant inimaginable de citoyens égaux en droit. Dans les centres urbains, la bourgeoisie émergente crée des associations de toutes sortes. La Société des amis de la musique et du théâtre de Willisau constitue l’un des plus anciens exemples de ce développement. En 1811, les conditions de la création d’un théâtre sont particulièrement favorables. La Société des amis de la musique et du théâtre récupère les gradins en bois du couvent voisin de Saint-Urbain et l’artiste peintre de Willisau Xaver Hecht réalise un superbe rideau. On peut y voir au centre d’un paysage agreste, le dieu grec Apollon jouant de la lyre, accompagné par trois chérubins. Trois grâces dansent à sa gauche. Dieu des arts et de la musique, Apollon se trouve aussi en haut à gauche du tableau, traversant le ciel dans un chariot tirés par deux chevaux. Le théâtre baroque de Willisau est un véritable joyau.

Restau­rant Adler. Ce qui est peint et dépeint

De l’autre côté de la ruelle, à quelques pas en direction de la porte supérieure, les restaurants Adler et Sternen perpétuent le souvenir de la guerre des paysans de 1653, qui fut aussi l’insurrection la plus importante de l’ancienne Confédération. À cette époque, toute l’Europe voit fleurir le mot «révolution». Méprisés par la noblesse qui les traite de «gueux», les rebelles forment une ligue de paysans qui n’échappera toutefois pas aux dissensions internes. «Leurs Excellences» profiteront de cette faiblesse pour assouvir une vengeance féroce.
David Herrliberger: Topographie der Eydgenossschaft, Zürich 1754-1773 (extrait)
En haut, le château des baillis (B), construit en 1695 à côté de la Chutzenturm. Surplombant la ville, son architecture est emblématique du pouvoir. Difficile d’évoquer de manière plus prégnante le fossé séparant la noblesse du peuple. Comme il est loin, le temps où le bailli de Lucerne partageait ses quartiers avec ceux du peuple de la basse-ville. David Herrliberger: Topographie der Eydgenossschaft, Zürich 1754-1773 (extrait). Zentralbibliothek Zürich
On notera qu’en 1653, en pleine agitation religieuse, aussi bien les paysans que ceux qui les gouvernent forment des alliances au-delà des frontières confessionnelles. Si les insurgés expriment ainsi leur volonté de résistance, leurs autorités sont motivées avant tout par la conservation de leur pouvoir.
Willisau, restaurant Adler
Willisau, restaurant Adler, fresque de 1943 rappelant la guerre des paysans de 1653. En haut, les meneurs de la révolte. De gauche à droite, Antoni Farnbühler, Niklaus Leuenberger, Christian Schibi et l’habitant de Willisau Johann Jakob Peyer. Le texte documente la réunion des insurgés en ce lieu et leurs origines: «d’Entlebuch, de l’Emmental et de l’arrière-pays lucernois, de Gäu, Freiamt et de la haute Argovie, de Soleure et de la région bâloise.» Kurt Messmer
L’œuvre d’art est réalisée au milieu de la guerre, vers 1942/43. Il règne alors en Suisse la crainte que ce «petit hérisson» soit annexé par l’armée allemande. Au vu des circonstances, cette fresque représente un acte de résistance. Dans une époque où plane le danger, la résistance de la paysannerie est essentielle car elle doit mener la «bataille de la subsistance», combat impliquant l’unité ville-campagne: alliance à laquelle Willisau est prédestinée. Si l’artiste a peint la guerre des paysans, ce qu’il dépeint n’est rien moins que la Seconde Guerre mondiale.

De l’assainissement des rues et d’une source que l’on ne peut consulter qu’une seule fois

En 2013, Antoni Farnbühler, Niklaus Leuenberger, Christian Schibi et Johann Jakob Peyer, qui menèrent la guerre des paysans de 1653, ont toujours le regard tourné vers la place de l’église en contrebas. C’est là que se tenait autrefois le marché. C’est dire que le secteur recèle de précieux renseignements sur le passé de la ville. Les fouilles indispensables à leur recherche nécessitent du temps et de l’argent. Or le temps presse et l’argent manque. Nous sommes au mois de mars et l’assainissement de la rue principale doit être achevé en septembre. Sous la pression économique, le gouvernement lucernois réduit de 80% le volume des fouilles prévues sur la place de l’église et abandonne complètement celles de la rue principale. Le service cantonal de l’archéologie et l’association de défense du patrimoine du Wiggertal tentent vigoureusement mais en vain de sauver le site. Le responsable des fouilles constate que «les vestiges d’un minimum de 30 à 40 générations seront perdus sans être documentés. Il ne restera plus qu’une friche sans histoire.»
Willisau, 2013. Renoncement définitif aux fouilles archéologiques de la rue principale et travaux d’assainissement devant l’hôtel de ville, la porte inférieure en arrière-plan.
Willisau, 2013. Renoncement définitif aux fouilles archéologiques de la rue principale et travaux d’assainissement devant l’hôtel de ville, la porte inférieure en arrière-plan. Kantonsarchäologie Luzern
La différence principale entre vestiges archéologiques et sources écrites, c’est qu’un document comme le Pacte fédéral peut toujours faire l’objet de nouvelles analyses. En revanche, les vestiges archéologiques ne peuvent être mis à jour qu’une seule fois. Si leur site est documenté et topographié dans les règles de l’art, il n’en est pas moins définitivement détruit. C’est inévitable. Aucun archéologue ne fouille deux fois le même sol et Willisau n’échappe pas à la règle.

L’église parois­siale. Un éléphant au milieu de la ville

Place de l’église. Willisau possède la plus grande église de la région lucernoise. Mais au-delà de ce superlatif, c’est surtout le classicisme de ses colonnades qui est remarquable. Elle a été conçue par Josef Purtschert, de Pfaffnau, non loin de Saint-Urbain. Les fresques de son plafond et la décoration de l’autel ont été réalisées par le peintre de Willisau Xaver Hecht, à qui l’on doit aussi le rideau du théâtre de l’hôtel de ville. L’histoire de la construction de ce lieu de culte en quatre étapes sur une période de 800 ans est pour le moins étonnante.
Willisau, église paroissiale Saints Pierre et Paul, 1810. Situation dominante, volume colossal et des étapes de construction bien visibles.
Willisau, église paroissiale Saints Pierre et Paul, 1810. Situation dominante, volume colossal et des étapes de construction bien visibles. Kurt Messmer
Le calembour est facile mais il y a ici quelque chose qui cloche. Érigée après 1200, la tour était à l’origine romane, comme l’indiquent ses ouvertures de fenêtres en plein cintre et la sobriété de leurs chapiteaux. En 1647, on lui ajoute un étage surmonté d’un clocher à bulbe baroque. Construit en 1810, un nouveau corps de bâtiment classique chamboule toutes les proportions de l’église, à un point tel que son clocher surélevé fait désormais figure de nain. La portée du son des cloches étant limitée, on construit en 1929 sur le toit du bâtiment principal un clocher monumental, revêtu de plaques de cuivre: l’éléphant, comme le surnomment avec ironie les habitants de Willisau. Ses sept nouvelles cloches, dont certaines sont énormes, se font depuis entendre dans toute la région mais ceux et celles qui répondent à leur appel sont aujourd’hui de moins en moins nombreux. Rédigée en 1959, cette note de bas de page du registre des monuments historiques est édifiante: «Il incombera aux générations futures de travailler à la conservation du patrimoine en supprimant cet ajout qui défigure l’église et l’ensemble du site». Mais ironie de l’histoire, notre éléphant qui est aussi une des premières constructions en béton armé, est depuis longtemps classé monument historique.

Sans joie ni chagrin – l’éternité des innocents

Rien n’est plus triste qu’un enfant mort-né. Il faut avoir un cœur de pierre pour penser que l’enfant n’ira pas directement au paradis. Et pourtant… l’Église catholique prévoit que tout enfant qui n’a pas été baptisé n’a pas sa place au paradis ni d’ailleurs au cimetière qui est une terre consacrée. Jusqu’au début des années 1970, les dépouilles des enfants non baptisés sont placées dans le Chilelöchi, un puits situé à l’extérieur des murailles du cimetière.
Église paroissiale de Willisau, Schlossrain.
Église paroissiale de Willisau, Schlossrain. Un portail en fer marque le passage menant à travers le mur du cimetière au Chilelöchi, situé à l’extérieur de la terre consacrée. Vers 1970, on appose sur le mur une plaque où l’on peut lire: «Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez pas. Car le royaume des cieux et pour ceux qui leur ressemblent.» Évangile selon saint Marc 10, 13-14. Ni date, ni nom ni autre indication. Le petit bassin d’eau bénite peut-il œuvrer à une purification rétroactive du péché originel des petites âmes condamnées à errer éternellement dans les limbes? Kurt Messmer
Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle, pourtant très éloigné de l’obscurantisme moyenâgeux, pour que l’Église catholique autorise en 1970 une messe de funérailles pour les enfants décédés sans baptême «dans la confiance et la miséricorde de Dieu». Leurs malheureux parents se contentaient depuis longtemps d’une croyance populaire voulant que les enfants non baptisés ne trouvaient certes pas leur place au paradis mais parvenaient en un lieu où l’on ne connaît ni souffrance ni chagrin pendant toute une éternité.

Vivre et travailler il y a 500 ans sous un seul et même toit

Tout près du Chilelöchi, au numéro cinq de la Müligass se trouve une maison construite en 1590 à la fin du Moyen Âge et qui pourrait être n’importe quelle autre ancienne maison mitoyenne si elle n’avait pas échappé au dernier grand incendie de 1704. Exemplaire de la maison urbaine de cette époque, elle est composée d’un rez-de-chaussée abritant atelier et local de vente, d’un premier étage comptant séjour et cuisine, d’un deuxième étage occupé par les chambres à coucher et d’un grenier dans les combles.
Willisau, Müligass cinq
Willisau, Müligass cinq. Au-dessus du rez-de-chaussée en pierre de taille s’élève une structure typique de son époque, faite de montants verticaux et de madriers perpendiculaires, assemblage qui sera bientôt remplacée par le colombage. La maison possède deux rangées horizontales de fenêtres de belle taille, deux fois plus larges que celles des deux axes verticaux de la maison voisine. La généreuse saillie de l’avant-toit assure une protection efficace contre les intempéries et renforce le caractère pittoresque de la construction. Kurt Messmer
L’incendie de 1704 a entraîné la disparition des maisons en bois. Les habitants de Willisau cherchent et trouvent de la bonne pierre afin de reconstruire leur ville. Pour que les maisons en bois de la Müligass qui avaient échappé à l’incendie ne fassent pas tache, on les recouvre d’un crépi. Il n’en faut pas plus pour donner au bois l’apparence de la pierre. C’est seulement lors d’une restauration effectuée dans les années 1980 que les façades en bois du XVIe siècle seront remises à jour. Comme si l’histoire s’était soudain affolée, le numéro cinq de la Müligass à Willisau est presque revenu à l’ancien temps. Le rez-de-chaussée de la maison abrite l’atelier et le magasin d’un potier, lequel vit dans les étages supérieurs.

Le miracle du Saint-Sang. Combien faut-il de légendes à l’humanité?

Cinq maisons après celle de la Müligass 5, la porte supérieure ferme la ville en direction du Napf. La chapelle du Saint-Sang se trouve juste après cette porte. Une légende veut que trois hommes se seraient retrouvés ici pour se divertir. Ayant perdu tout son argent, l’un d’entre eux aurait jeté son épée en l’air dans un accès de colère en souhaitant qu’elle traverse le corps du Christ. Comme si ce souhait s’était réalisé, quelques gouttes de sang seraient alors tombées sur la table des joueurs et le diable serait venu enlever le blasphémateur. Essayant vainement de laver le sang, un deuxième joueur aurait été frappé par la mort. Quant au troisième, il aurait été infesté de poux et se serait effondré sans vie à la porte de la ville. Le prêtre de l’époque aurait découpé le plateau de la table sur laquelle le sang était tombé pour en conserver les gouttes dans une chapelle qui sera érigée peu après en souvenir de ce miracle.
Le miracle du Saint-Sang de Willisau: illustration de la lettre d’indulgence de 1498 pour la chapelle du Saint-Sang à Willisau.
Le miracle du Saint-Sang de Willisau: illustration de la lettre d’indulgence de 1498 pour la chapelle du Saint-Sang à Willisau. Trois hommes jouent aux dés autour d’une table. Celui du milieu vient de lancer son épée vers le ciel. Marie à son côté, le Christ lève un doigt en signe d’avertissement. Des gouttes de sang sont tombées sur la table. Le joueur de gauche brandit son épée comme un matamore. Celui de droite désigne le blasphémateur. Staatsarchiv Luzern
L’origine de la légende se trouve dans les environs immédiats, à Ettiswil où s’est produit un vol d’hosties en 1447. L’affaire est richement documentée et la nouvelle se répand comme une traînée de poudre au milieu d’un XVe siècle agité. Les pèlerins affluent et apportent la prospérité au village, faisant passer Willisau au second plan. La petite ville comprend la leçon et cinq ans plus tard, Willisau possède sa propre chapelle du Saint-Sang, consacrée en 1452. Mais il faudra attendre la lettre d’indulgence de 1498 pour disposer du premier document tangible au sujet de cette légende, auquel il manque néanmoins trois éléments cruciaux: la date du sacrilège, le nom du malfaiteur et le nombre des gouttes de sang. Diebold Schilling, pourtant friand d’affaires sensationnelles de toutes sortes, ne mentionne absolument pas le Saint-Sang de Willisau dans sa chronique de 1513. Son silence est tonitruant. Après la Réforme, le curé de Willisau se sait redevable au catholicisme. En 1564, au début de la Contre-réforme, c’est lui qui complète la légende par des informations précises: le sacrilège a eu lieu le 7 juillet 1392. Le malfaiteur se nomme Uli Schröter et il y avait cinq gouttes de sang représentant les cinq blessures du Christ, ce dont la mention de quelques autres petites éclaboussures ne permet pas de douter.
Willisau, fête des indulgences, «Apliss» dans le dialecte local.
Willisau, fête des indulgences, «Apliss» dans le dialecte local. Le cortège parcourt la Müligass pour se rendre à l’église paroissiale. Cette grande procession expiatoire a lieu chaque année, le deuxième dimanche suivant la Pentecôte. Protégée par un dais, une goutte de sang prise dans un morceau de bois traverse les rues de Willisau dans l’ostensoir du Saint-Sang. L’Apliss est la fête la plus importante de l’année. Photo prise en 2009. Stadtarchiv Willisau, Bruno Bieri
Vers la fin de la Réforme catholique, le miracle du Saint-Sang est solidement ancré dans la croyance populaire. On trouve aujourd’hui dans le château des baillis un ensemble de huit tableaux réalisés en 1638, illustrant la légende de façon fort dramatique. Construite en 1674, la chapelle est toujours en fonction. Représentatif de l’art baroque, ce bâtiment reçoit en 1684 un nouvel ensemble de huit tableaux ajoutant d’autres détails aux précédents. Telle est la force des images et des vestiges. Plus le temps passe après un événement, plus on recueille d’informations à son sujet, faisant d’une reconstitution une leçon d’histoire.

Et pourtant elle évolue

Accordons-nous une dernière réflexion sur le chemin du retour vers la porte inférieure. Si l’histoire est un héritage qui nous oblige à la comprendre, nous avons aussi le devoir de la pérenniser et de la développer. Le fait qu’une ville soit ancienne ne doit pas la figer mais au contraire la faire vivre.
Willisau, Chilegass 13. Si le fond est ancien, sa forme est nouvelle.
Willisau, Chilegass 13. Si le fond est ancien, sa forme est nouvelle. Kurt Messmer
La rénovation peut prendre mille visages. Un bâtiment remarquable a été construit à Willisau en 2002 non loin de l’église paroissiale. Son emprise au sol est identique à celle des anciennes maisons. Il en va de même pour sa hauteur, celle de ses gouttières et de son toit aux proportions immuables depuis des siècles. Malgré l’influence du passé, la construction est résolument contemporaine. Respecter le passé, éviter le tape-à-l’œil: cette démarche peut aussi être appliquée à des ensembles de bâtiments ou des quartiers. Parce que la civilisation est une évolution et sa rénovation une opportunité.

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